vendredi 2 septembre 2011

Le dilemme libyen

L'intervention de l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) en Libye et ses efforts pour traquer Mouammar Kadhafi soulèvent un dilemme important et qui revient souvent en relations internationales. Cette intervention est-elle motivée par des motifs impérialistes et dominateurs, ou bien par des raisons humanitaires et démocratiques?

Les défenseurs de la première thèse attirent l'attention sur des réalités effectivement dérangeantes. D'abord, on vient d'apprendre que le CNT (Conseil national de transition) avait scellé une entente avec la France. En échange d'armes en appui aux opposants à Kadhafi, le CNT s'engageait à fournir 35% du pétrole brut à la France une fois le conflit terminé. Par ailleurs, l'ancien conseiller au Département d'État de Condoleezza Rice, Philip Zelikow, écrivait dernièrement dans sa chronique du Financial Times que les bouleversements en Libye étaient une occasion en or pour les puissances occidentales de s'emparer d'importantes ressources en pétrole. On a pas manqué non plus de rappeler les nombreuses atrocités commises par les rebelles libyens, pour montrer que ceux que l'on croit être bons et démocratiques ne le sont peut-être pas tant que cela. Enfin, l'OTAN commet de nombreuses bavures en Libye, la plupart masquée aux médias occidentaux, témoignant une fois de plus de ses intentions machiavéliques.

Les défenseurs de la deuxième thèse rappellent que Kadhafi n'est pas un enfant de coeur et qu'il est au pouvoir depuis 42 ans. On estime que les bouleversements en Libye sont une des manifestations du "Printemps arabe" et qu'après les départs des dictateurs Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte, Kadhafi doit lui aussi partir. Plus globalement, plusieurs défendent l'intervention de l'OTAN au nom d'un principe que l'ONU a reconnu en 2005: la responsabilité de protéger. Selon ce principe, si un État n'est plus en mesure de protéger sa population d'un génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, le Conseil de sécurité de l'ONU se dit prêt à intervenir par la force pour maintenir la paix et la sécurité. Dans le cas de la Libye, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1970 rappelant que l'État avait faillit à cette responsabilité. Il est donc moralement justifié d'intervenir.

Pour ma part, je suis plutôt un partisan de la seconde thèse. Bien sûr que les puissances occidentales n'interviennent pas exclusivement pour des motifs humanitaires. Mais qui a dit qu'une puissance intervenante devait absolument le faire de manière désintéressée? Je me permets de vous citer un passage d'un texte qui résume bien ma pensée, celui de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, maître de conférence au département de War Studies du King's College de Londres:

Toutes les interventions militaires justifiées par des raisons humanitaires ont été, sont et seront également motivées par des intérêts nationaux, pour la simple et bonne raison que les Etats ne sont pas – et même ne doivent pas – être désintéressés puisque leur raison d'être est de défendre les intérêts de leurs citoyens. L'exigence de désintéressement de l'Etat intervenant, qui n'est autre que le critère de la bonne intention (intentio recta) de la théorie traditionnelle de la guerre juste, est de bien peu d'utilité.

Il est vain de tenter de faire croire à une opinion publique déjà très sceptique, voire cynique, que l'on intervient "seulement" pour aider les Libyens. Cela ne veut pas dire que l'intervention n'est pas humanitaire parce qu'elle ne l'est pas exclusivement. Elle l'est encore si elle sauve davantage de Libyens qu'elle n'en tue – ce que l'avenir nous dira.

Intervenir à l'étranger n'est pas une décision facile. Dans le cas de la guerre en Irak en 2003, les prétextes de l'administration Bush pour entrer en conflit étaient clairement injustifiables. Mais la Libye n'est pas l'Irak.

1 commentaire: