vendredi 31 août 2012

Français: langue commune


Nicolas Bourdon

Ça y est, c’est reparti ! Les dignes descendants de Diane Francis et de Mordecai Richler reprennent du galon et y vont de commentaires incendiaires à l’égard du PQ. La semaine dernière, Jonathan Kay du National Post estimait que Madame  Marois était la plus « xénophobe des chefs de partis canadiens » et son collègue Chris Selley considérait qu’il « est évident que le plan de match du PQ est de dénigrer les minorités. » Serait-il pourtant trop demandé à ces virulents dénonciateurs de faire preuve à l’égard de la réalité québécoise d’un peu d’ouverture, eux qui nous en demandent toujours beaucoup ?  

Le français, faut-il le rappeler est mal en point au Québec, et il l’est encore plus à l’échelle du Canada. Guillaume Marois de l’INRS rappelait récemment que la proportion des personnes parlant le français à la maison sur l'île de Montréal est passée de 56% à 54% entre le recensement de 2001 et celui de 2006. Les données du mathématicien et chercheur Charles Castonguay sont encore plus inquiétantes : elles indiquent qu’en 2006 les francophones n’étaient plus que 79,1 % dans l’ensemble du Québec, 65 % dans la région de Montréal et 49 % sûr l’île de Montréal. À l’échelle du Canada, le pourcentage des francophones a chuté de façon drastique : en 1951, le pays comptait 29,1% de francophones et il n’en compte plus que 21,6%. Le PQ et Option nationale proposent d’étendre la loi 101 au cégep ; cette mesure serait la bienvenue, car, comme le rappelle le chroniqueur Michel David et une étude de l'Institut de recherche sur le français en Amérique, la langue parlée au travail, à la maison et dans les commerces est fortement corélée au fait de fréquenter un cégep anglais ou français.

La proposition du PQ est courageuse et souhaitable, mais elle ne semble pas faire consensus bien que le français soit en perte de vitesse au Québec. Les détracteurs de ce projet y voient une attaque aux libertés individuelles - certains vont même à parler de « dictature » et de « fascisme » ! - car, estiment-ils, l’État impose une loi qui va à l’encontre de la liberté de choisir sa langue d’enseignement ; selon eux, l’État ne devrait pas se mêler d’un choix strictement individuel. Cet argument n’est pas convaincant, car le cégep est subventionné à 100% par l’État et il est donc légitime que la collectivité se prononce sur la nature qu’elle veut donner au cégep. Mais les adversaires d’une loi 101 renforcée répliqueront que la vitalité de la langue française au Québec est une responsabilité essentiellement individuelle. Si le français se porte si mal au Québec, c’est que chaque Québécois individuellement est paresseux et n’est pas assez fier de sa langue: il ne prend pas la peine de se corriger lorsqu’il commet une erreur, il manque d’humilité et il est frustré lorsqu’il se fait corriger par un Français de France qui parle mieux la langue de Molière que lui. Une loi contraignante comme la loi 101 n’est donc d’aucune utilité, il faut plutôt atteindre la source du problème : « les mentalités ».

On voit immédiatement l’inanité d’un tel argument (que j’ai notamment entendu dans la bouche de Maxime Bernier); en fait, lorsqu’un politicien souhaite « agir sur les mentalités » tout en n’imposant aucune loi pour que ces mentalités changent, vous pouvez être certain que le politicien en question ne souhaite aucun changement véritable : c’est un peu comme un professeur qui recommanderait à ses étudiants de lire un roman de Balzac, mais qui n’évaluerait pas la compréhension de leur lecture ; aucun étudiant ne prendrait la peine de le lire. De plus, c’est oublier que le problème essentiel n’est pas que les Québécois maganent la langue de Molière, mais que des milliers d’entre eux vivant dans la grande région de Montréal utilisent uniquement l’anglais dans leurs communications de tous les jours. N’imposer aucune loi pour assurer la pérennité du français au Québec, c’est aussi tenter de transformer un problème collectif en un problème que chaque individu devrait héroïquement régler par lui-même sans que la collectivité ne vienne supporter ses efforts par une législation conséquente. Et pourtant comme l’observait Hubert Aquin en 1962 dans la « Fatigue culturelle du Canada français » : « Si le défi individuel que chaque Canadien français tente en vain de relever dépend de la position du groupe canadien-français considéré comme totalité, pourquoi faut-il relever ce défi collectif comme s’il était individuel ? »

J’observe aussi que plusieurs des opposants à la loi 101 et à son extension au cégep estiment qu’elles constituent une sorte de « tricherie » avec la nature : il faudrait laisser aux individus le libre choix de la langue d’enseignement et on constaterait ensuite si le français est assez fort pour survivre. Selon cette conception darwinienne de la langue et de la culture, il ne faut surtout pas tenter artificiellement, par une intervention de l’État, de supporter le français si cette langue est incapable de compétitionner avec l’anglais ; cela ne serait pas naturel. Selon cette vision, véhiculée notamment par les membres du Réseau liberté Québec d’Éric Duhaime et de Johanne Marcotte, la culture devrait être considérée comme n’importe quelle marchandise et être soumise aux lois du marché : de l’avis de ces libertariens, une intervention de l’État en culture est toujours considérée comme une excroissance bizarre et artificielle. Mais c’est penser la loi 101 en dehors de la culture alors que cette loi est précisément une émanation de la culture québécoise qui, pour ne pas mourir, a décidé de s’adapter - pour reprendre le vocabulaire darwinien - en protégeant sa langue. Lorsque la loi 101 a été adoptée en 1977, le peuple québécois a décidé que la langue était d’une importance capitale à la vigueur de son épanouissement culturel et que, par conséquent, elle ne saurait être le jouet des désirs individuels.

***

L’anglais, langue de l’ouverture

Il y a quelque chose de surréaliste à entendre les pourfendeurs d’une loi 101 renforcée : on vilipende notre fermeture d’esprit, notre repli identitaire, voire notre racisme. Et pourtant la loi 101, même dans la version renforcée du PQ, permet aux parents de la communauté anglophone de faire éduquer leurs enfants en anglais, et pourtant l’étudiant du système francophone est exposé à des centaines d’heures d’anglais langue seconde lors de son parcours scolaire du primaire au cégep. Le problème est plutôt l’inverse : finalement, bien peu de choses ont changé depuis les années 1960 : nous sommes collectivement obsédés par l’anglais et nous considérons encore cette langue comme étant bien plus essentielle à maîtriser que notre langue maternelle ; après tout, elle est la langue par excellence de l’ouverture à l’autre et la langue des affaires : les employés de la section des technologies de l’information de la Banque nationale, s’ils ne le savaient pas encore, l’ont appris lorsqu’on les a obligés à parler uniquement anglais pour pouvoir communiquer avec leur patron unilingue anglais, on a aussi confirmé aux étudiants des HEC que « les affaires, ça se passe en anglais » lorsque les HEC ont décidé de créer une maîtrise dispensée uniquement dans la langue de Shakespeare.

Nous devons bien avoir l’esprit fermé à toute autre chose que l’anglais pour considérer que cette langue est le seul chemin possible menant à « l’ouverture ». Je crois que les chemins menant à « l’ouverture » sont multiples (je suggère pour ma part la fréquentation des grands romanciers russes) et qu’ils ne passent pas nécessairement par l’anglais. Il n’y a aussi aucune raison pour que l’anglais soit la langue des affaires : le français devrait être parlé à l’intérieur de chaque entreprise québécoise et l’anglais parlé uniquement lorsqu’on doit s’adresser à des partenaires à l’extérieur du Québec.

Ce lundi 27 août 2012, Jean Charest a semblé avoir une illumination et avoir enfin compris que l’état du français dégringolait au Québec : il affirmait qu’il voulait entreprendre des négociations avec Ottawa pour assujettir à la loi 101 les entreprises à charte fédérale, mais, le lendemain, il effectuait une volte-face sidérante en laissant entendre que le Québec avait deux langues officielles alors que le gouvernement libéral de Robert Bourassa a fait du français la seule langue officielle du Québec en 1974 ! Clairement, les libéraux ont complètement abandonné la défense du fait français et ils ont décidé « d’agir sur les mentalités », c’est-à-dire de ne rien faire. Les deux seuls partis qui ont une politique cohérente en matière de défense du français sont Option nationale et le Parti québécois : pour les francophones et les allophones, le français doit devenir la langue d’enseignement du primaire au cégep inclusivement et elle doit être la seule langue parlée au travail. C’est la seule façon de faire du français la véritable langue commune des Québécois ; une langue qui n’est parlée qu’en privé, à la maison, est une langue morte ou agonisante ; c’est ce phénomène qui se produit présentement au Canada hors Québec où, hormis sur les pancartes routières, l’existence publique du français est moribonde. A-t-on vraiment envie que cela se produise ici ?      








jeudi 16 août 2012

Élections septembre 2012: le coeur ou la raison?

Félix-Olivier Riendeau

À l'approche du scrutin provincial du 4 septembre 2012 -comme à chaque fois lors d'élections - une discussion s'amorce à savoir s'il faut voter avec le coeur, c'est-à-dire pour le candidat dont les valeurs rejoignent le plus nos préoccupations d'électeur, ou s'il faut voter de manière plus rationnelle et stratégique pour un candidat dont les idées sont plus éloignées de nos convictions, mais dont la victoire contribuerait à déloger un gouvernement qu'on abhorre.

Quelques textes intéressants ont été rédigés sur cette question dernièrement, notamment celui du cinéaste Bernard Émond, dans le journal Le Devoir ou encore la réplique que lui a adressé C.J. Simard.

D'un côté, les défenseurs du vote stratégique soutiennent qu'en ne divisant pas le vote de gauche dans plusieurs circonscriptions, les libéraux de Jean Charest seraient rapidement écartés du pouvoir. À chaque élection, des progressistes appellent à voter pour le "moins pire" des partis social-démocrate, en l'occurrence le PQ, afin de chasser la droite du pouvoir. Ainsi, en 2008, si tous les partisans de Québec solidaire et du Parti vert s'étaient plutôt tournés vers le Parti québécois, jamais le Parti libéral n'aurait formé le gouvernement. Pour les élections de septembre 2012, la situation pourrait se reproduire. Dans plusieurs circonscriptions, la division du vote entre le PQ et QS risque de favoriser les libéraux. C'est le cas par exemple de Laurier-Dorion, où les projections donnent le candidat libéral gagnant, avec 33,3% des intentions de vote, alors que le P.Q. récolte 33,1% et Q.S 14,9%. C'est aussi le cas dans Argenteuil.

De l'autre, on refuse de se ranger à cette logique froide qui s'apparente à une fraude idéologique. N'est-ce pas le PQ qui, depuis 1976, promet qu'il va réformer le mode de scrutin? N'est-ce pas lui qui a régulièrement profité de notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour (en 1998, il forme un gouvernement majoritaire avec 42,9% des voix, alors que les libéraux récoltent 43,6%) et qui n'a pas intérêt à ce que la situation change? Pour plusieurs, le PQ est un parti usé, trop près de l'establishement financier et qui a un a pris un trop grand virage à droite. Dans ce contexte, argue-t-on, pourquoi la gauche aurait-elle intérêt à voter PQ? Pourquoi ne serait-ce pas plutôt les partisans du PQ qui devraient massivement migrer vers QS? Après tout, le NPD a réussi un raz-de-marée plus qu'étonnant sur la scène fédérale lors des élections de mai 2011, alors pourquoi QS ne pourrait-il pas réaliser la même chose?

Un dilemme embêtant


Il n'est pas facile de trancher dans ce débat.  Pour y contribuer, j'aimerais souligner un certain nombre d'idées.

D'abord, lorsque j'analyse le programme du Parti québécois, j'y vois encore de nombreuses propositions de gauche, qu'il s'agisse d'imposer des redevances minières sur la valeur brute des ressources, de geler les tarifs pour les garderies à 7$, d'abolir la hausse des frais de scolarité et la taxe santé annuelle de 200$, de nationaliser l'énergie éolienne ou d'établir un financement presqu'exclusivement public des partis politiques. Par ailleurs, soutenir que les péquistes sont aussi corrompus que les libéraux m'apparaît injuste. Une récente étude du Directeur général des élections démontrait d'ailleurs que les dons au Parti québécois ne variaient pas lorsqu'ils passaient de l'opposition au gouvernement, alors que ceux offerts aux libéraux doublaient. Au risque d'apparaître jovialiste, je crois que les valeurs progressistes pourraient cheminer au sein d'un gouvernement du Parti québécois et qu'il pourrait mettre un frein à la corruption dans l'appareil public.

Ensuite, d'aucuns estiment qu'il est urgent de réformer notre mode de scrutin, car c'est lui qui contribuerait à rendre le vote stratégique incontournable. Cette perception n'est certes pas dénuée de fondement, mais elle est simpliste. C'est ce qu'expliquait dernièrement André Blais, un expert des systèmes électoraux de l'Université de Montréal. Dans un système à deux tours par exemple, certains électeurs sont parfois tentés de voter pour un parti marginal au premier tour (afin de l'encourager), convaincu que leur parti préféré passera de toute manière au second tour. C'est peut-être ce qui explique le fait que lors des élections présidentielles françaises de 2002, Lionel Jospin et les socialistes n'avaient pas atteint - contre toute attente - le deuxième tour pour y affronter Jacques Chirac.

La multiplication des partis politiques est aussi problématique (vingt sont autorisés actuellement au Québec!). Non seulement cela contribue à la fragmentation du vote au profit des grands partis, mais cela est aussi révélateur d'une attitude paradoxale par rapport au jeu politique. Puisqu'on ne se reconnaît plus dans les grandes organisations et qu'il faudrait idéalement voter avec son coeur, la tentation de fonder son parti à la manière d'un forfait à la carte est grande. Ici je me propose de citer une belle réflexion de Bernard Émond:

" Il est paradoxal que des gens qui disent défendre le bien commun mettent au-dessus de tout l’expression individuelle de leurs préférences. Le vote n’est pas un mode d’expression personnelle, c’est un geste politique qui ne peut avoir que des résultats limités. Limités, mais non sans conséquences."

Voter avec son coeur peut donc à prime abord apparaître comme vertueux, alors qu'au fond, cela témoigne d'un refus de l'inévitable imperfection politique, voire d'une certaine forme d'individualisme.

J'invite donc mes concitoyens à considérer le vote stratégique dans certaines circonscriptions très serrées, de façon à s'assurer que les libéraux soient chassés du pouvoir.

Après les élections, il faudra inlassablement continuer de revendiquer une réforme du mode de scrutin (les sytèmes mixtes ou les votes préférentiels sont les avenues les plus prometteuses), plutôt que de mettre ses énergies à fonder de nouveaux partis.  Il faudra aussi rappeler au Parti québécois - s'il est élu - sa promesse d'instaurer des élections à date fixe (qui est loin d'être suffisante, mais c'est un début) et mettre de la pression sur le député de Marie-Victorin Bernard Drainville, afin qu'il mette en place la réforme ambitieuse des institutions démocratiques qu'il proposait l'année dernière.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'est même pas certain que la population québécoise serait intéressée par une réforme du mode de scrutin. Dernièrement, les citoyens de la Colombie-Britannique et de l'Ontario ont refusé d'adopter un mode de scrutin proportionnel, par la voie d'un référendum. Il y a donc aussi un travail de sensiblisation de l'opinion publique à faire par rapport à cet enjeu

Enfin, peut-être faudrait-il qu'il y ait davantage d'ententes électorales entre les partis progressistes, à la manière de celle qui a eu lieu entre Québec solidaire et Option nationale, dans les circonscriptions de Gouin et Nicolet Bécancour.  À cet égard, on se désole de voir que le Parti québécois et Québec solidaire ne soient pas parvenus à faire la même chose.

Bonne réflexion et surtout, bon vote!

vendredi 10 août 2012

Réflexions autour d'une souhaitable rentrée

Félix-Olivier Riendeau

Depuis quelques jours, plusieurs associations étudiantes sont passées au vote afin de déterminer si elles allaient poursuivre leur grève. Les étudiants en service social de l'Université de Montréal ont ainsi décidé de la continuer (malgré le taux de participation anémique de 9,6%), tout comme les étudiants en sciences humaines de l'UQAM. De leur côté, les étudiants des cégeps de St-Jérôme et Valleyfield ont choisi d'y mettre fin. Dans le cas du Collège de Valleyfield, le taux de participation a été nettement plus élevé, à 61,4%.

Les étudiants du collège où j'enseigne (Maisonneuve) sont quant à eux invités à se prononcer lundi le 13 août. Je crois qu'ils devraient s'inspirer des deux derniers cas, plutôt que des deux premiers.

Une grève importante

Bien sûr, je peux comprendre la tentation de plusieurs de ne pas vouloir mettre un fin à la plus longue grève de l'histoire du mouvement étudiant. 

Celle-ci a su démontrer la force de mobilisation incroyable d'une grande partie de notre jeunesse et briser le mythe d'une génération apathique, désengagée et centrée sur elle-même.  Le mouvement étudiant a habilement su exploiter la grogne générale qui règne à l'heure actuelle à l'endroit du gouvernement libéral (corruption, gaz de Schiste...) et attirer à lui d'autres citoyens. Des liens ont aussi été tissés avec des mouvements aux objectifs similaires ailleurs dans le monde, que ce soit au Chili ou aux États-Unis.

La grève nous a permis de découvrir des leaders étudiants dotés de talents de vulgarisation hors pair. Sans l'ombre d'un doute, les Nadeau-Dubois, Desjardins, Reynolds et Bureau-Blouin s'expriment mieux devant une caméra qu'une grande partie de nos leaders politiques actuels. 

Elle a aussi contribué à ramener au devant de la scène un débat de première importance: celui de l'accessibilité aux études supérieures. Jamais autant de familles au Québec auront discuté de la gestion des universités, du niveau d'endettement des étudiants, des frais de scolarité ailleurs dans le monde, de la valeur d'un diplôme, etc. Des débats parfois difficiles et houleux, mais qui ont eu le mérite de faire évoluer notre réflexion collective sur cet enjeu. En bref, la grève fut une véritable démarche d'éducation citoyenne.

Sur le plan strict des négociations avec le gouvernement, la grève a jusqu'ici permis de faire quelques gains (comité sur la gestion des universités et diminution des frais afférents, remboursement proportionnel au revenu, rehaussement du seuil  de revenu familial pour obtenir une bourse...), même si ceux-ci sont, compte tenu de l'ampleur du mouvement, décevants. Ils ne sont toutefois pas inexistants.

La lutte par d'autres moyens

Mettre fin à cette grève historique est donc un choix difficile et déchirant pour plusieurs étudiants. D'autant plus que la loi 12 (projet de loi 78) est à ce point provocante et inique, qu'il serait tentant d'en faire le principal prétexte pour poursuivre la grève.

Sauf que. Sauf que depuis quelques jours, le Québec est plongé en élection. Dans ce contexte, poursuivre la grève est une entreprise risquée, car comme plusieurs, je crois que cela aura pour effet d'aider le gouvernement libéral à se faire réélire. Le thème de la loi et l'ordre est la plupart du temps "vendeur' pour un gouvernement, le plus célèbre exemple d'une campagne victorieuse sur un tel sujet étant celui du président français Charles de Gaulle, à la suite de la crise de mai 1968.

On rétorquera à cet argument que les libéraux n'hésiteront pas à instrumentaliser un retour en classe des étudiants, se félicitant d'être parvenu à mettre fin à la crise. Il est évident que, d'un côté comme de l'autre, les libéraux tenteront de récupérer le conflit à des fins partisanes.

Concrètement, je ne vois toutefois pas ce que la poursuite de la grève dans les prochaines semaines pourrait apporter de plus au mouvement étudiant, à moins que certains militants cherchent délibérément à provoquer une situation de crise encore plus chaotique pour ainsi conforter une rhétorique anti-capitaliste souvent démagogique.

En reprenant les cours, personne ne prétend que les étudiants doivent cesser leur combat. En ce sens, l'idée d'une trêve de la grève jusqu'à la mi-septembre (le temps que les élections et la session d'hiver soient terminées) m'apparaît l'avenue la plus sage. Dans l'éventualité de l'élection du Parti québécois, une pression serait toujours exercée à son endroit afin qu'il remplisse sa promesse d'abroger la loi 12 (78) et qu'il propose une entente plus généreuse aux étudiants. Si les libéraux de  Jean Charest sont réélus, les étudiants pourront alors décider de reprendre leur grève, même s'il deviendra beaucoup plus difficile de la justifier.

D'ici-là, je crois qu'il est nécessaire que les jeunes investissent le jeu électoral "classique" et participent davantage aux élections. Les études récentes démontrent que leur taux de participation est encore plus bas que ce l'on croyait jusqu'ici et compte tenu de leur importante capacité de mobilisation, on se désole de voir qu'ils n'y consacrent pas davantage d'efforts. Mon collègue Nicolas Bourdon partage cette désolation et explique d'ailleurs pourquoi sur ce blog. La FEUQ et la FECQ ont déjà annoncé qu'ils travailleront à "faire sortir" le vote des jeunes. Je m'en réjouis.

Quant à la CLASSE, elle refuse l'idée d'une trêve électorale et cela est dommage. Pour elle, les élections semblent être un piège à cons dont il faut se méfier.

Un des arguments invoqués est que notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour ne permet pas de rotation des partis et qu'il est dès lors futile de participer aux élections. Il s'agit d'un jugement hâtif. Comment alors expliquer la récente 'vague orange" et la montée du NPD au niveau fédéral? Comment expliquer le fait qu'un nouveau parti provincial, la CAQ, ait de réelles chances d'accéder au pouvoir? Historiquement, comment expliquer la disparition de l'Union nationale et l'apparition d'un nouveau parti provincial dominant - le PQ - en 1976? Bien que je donne peu de chances à Québec Solidaire de susciter une vague de sympathie similaire à celle qu'a reçue le NPD, est-il si farfelu de concevoir une réelle poussée de ce parti à moyen terme? Que je sache, QS propose la gratuité scolaire depuis longtemps, alors pourquoi la CLASSE ne ferait-elle pas tout en son pouvoir afin de favoriser son élection?

Je ne conteste pas le fait qu'il est urgent de réformer en profondeur notre mode de scrutin, car il favorise indûment les grandes formations. Affirmer qu'il rend impossible toute forme de changement m'apparaît toutefois une erreur.

Le mouvement étudiant contre la hausse des frais a démontré dans les derniers mois qu'il savait faire preuve d'imagination dans ses interventions.

Pourquoi ne pourrait-il pas faire le choix de suspendre la grève et, en parallèle, continuer d'organiser toutes sortes d'activités visant à rappeler son indignation face à la loi 12 et son insatisfaction face à la dernière entente de principe qui lui a été soumise? Pourquoi ne contribuerait-il pas à l'élection d'un nouveau parti plus sensible à ses revendications, quitte à réévaluer la situation dans quelques semaines?





jeudi 9 août 2012

Les étudiants et les élections


Nicolas Bourdon

Le fait que la CLASSE demeure silencieuse au sujet des élections québécoises sur son site Internet témoigne du peu de cas qu’elle fait de cet exercice démocratique. Pire, dans le manifeste Nous sommes avenir qu’elle a rendu public le 12 juillet, on retrouve cette prise de position qui m’a fait tiquer : « Leur vision, leur démocratie, ils et elles la disent représentative : on se demande bien qui elle représente. Elle ne se vit qu’une fois tous les quatre ans et ne sert trop souvent qu’à changer les visages. Élection après élection, les décisions restent les mêmes et servent les mêmes intérêts, préférant les doux murmures des lobbys au tintamarre des casseroles. » Cette démocratie qu’on devrait rejeter est opposée au type de démocratie qui prévaut à la Classe : « Notre vision, c’est celle d’une démocratie directe sollicitée à chaque instant. C’est celle d’un Nous qui s’exprime dans les assemblées : à l’école, au travail et dans les quartiers. »

Il y a un danger réel à trop vilipender le processus électoral québécois : celui de voir des milliers de jeunes bouder les élections parce qu’ils ont été convaincus par leurs leaders qu’elles ne sont que des pièges à cons et c’est précisément ce que souhaite le Parti libéral ! Et notre processus électoral est-il si mauvais ? Il y aurait certes peut-être lieu de l’améliorer en instaurant un "élément de proportionnelle", mais faites le petit exercice suivant : demandez à des citoyens russes ou chinois épris de liberté de porter un jugement sur notre affreuse démocratie représentative ; je suis persuadé qu’ils vous diront que nous sommes extrêmement chanceux.

La FECQ et la FEUQ ont adopté une stratégie beaucoup plus pragmatique par rapport aux élections québécoises. Ils viennent tout juste de mettre en ligne un site, votons.ca, qui vise spécifiquement les jeunes de 18 à 34 ans. On leur rappelle des choses essentielles : comment s’inscrire à la liste électorale, comment voter par anticipation, comment voter hors circonscription… On leur rappelle entre autres des faits accablants : aux dernières élections, seulement 36% des 18-24 ans et 41% des 25-34 ans se sont prévalus de leur droit de vote. Pourquoi la CLASSE n’a-t-elle pas participé à un tel site et à un tel exercice ? Est-ce encore une fois parce qu’elle regarde de haut le processus électoral québécois ? Alors que l’heure est grave et que chaque vote compte (pour une fois, ce n’est pas un cliché de le dire !) le mouvement étudiant apparaît malheureusement désuni. Lors du premier round de négociation avec le gouvernement, les leaders de la CLASSE avaient raison de dire que la ministre Beauchamp voulait les exclure pour des raisons futiles, mais, cette fois, ils se sont malheureusement exclus eux-mêmes. Et c’est dommage, car le Québec a besoin de leur passion et de leur intelligence pour avancer.