mardi 27 septembre 2011

Le geste désespéré de Mahmoud Abbas

L'idée est excellente. Le timing est parfait. Mais le geste n'en reste pas moins désespéré. Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a déposé vendredi dernier une demande d'adhésion de la Palestine en tant qu'État membre de l'ONU. On se rappelle que l'État d'Israël a été admis comme État membre à l'ONU dès 1949, mais pour la Palestine, c'est une toute autre histoire. Après une série de guerres et de négociations ayant mené à une impasse, M. Abbas en a eu assez et a jugé qu'une demande d'adhésion à l'ONU, sans accord de paix préalable avec Israël, était devenue la seule voie d'avenir possible pour les Palestiniens. Un geste intéressant et compréhensible, mais aux conséquences plus qu'incertaines.

Pourquoi une demande à l'ONU maintenant?

D'abord pour des raisons de politique intérieure. Mahmoud Abbas a été élu à la tête de l'Autorité palestinienne en 2005, mais son mandat est venu à échéance en janvier 2009. Si des élections n'ont pas eu lieu à cette date, c'est qu'un conflit perdure entre le parti de M. Abbas (le Fatah) et celui d'Ismaïl Haniyeh (le Hamas). En 2006, le Hamas avait remporté les élections législatives en Palestine, ce qui provoqua une guerre interne violente au sein de l'Autorité palestinienne, car le Hamas n'est pas reconnu comme un partenaire fiable par la communauté internationale. Depuis, le Hamas est resté en contrôle de la Bande de Gaza, alors que le Fatah contrôle la Cisjordanie.

M. Abbas a plusieurs fois annoncé que de nouvelles élections allaient avoir lieu prochainement. C'est ici que la demande d'adhésion à l'ONU prend son sens. Souhaitant se positionner en vue de ces élections, M. Abbas souhaite poser un geste d'éclats dont il a bien besoin. Souvent perçu comme un président terne et faible face à Israël, une demande unilatérale à l'ONU le place dans une position offensive favorable à son image. Le Hamas se plaît d'ailleurs à faire passer M. Abbas pour un traître et va même jusqu'à critiquer sa démarche unilatérale auprès de l'ONU, à mot couvert toutefois, car l'initiative est populaire auprès du peuple. Quoi de mieux qu'une demande d'adhésion à l'ONU pour devenir tout à coup un patriote honorable et couper l'herbe sous le pied au Hamas?

Vient ensuite le contexte international. En 2009, le président américain Barack Obama avait prononcé un discours en Égypte, dans lequel il en appelait à la réconciliation entre le monde arabo-musulman et les États-Unis. Beaucoup y avait vu une ouverture face à la cause palestinienne. Avec raison, car Barack Obama a aussi plusieurs fois répété qu'il était favorable à la naissance d'un État palestinien. M. Abbas souhaite clairement confronter M. Obama à ses paroles.

Mais la politique intérieure aurait tôt fait de rattraper M.Obama. Ce dernier a affirmé que les États-Unis allaient apposer leur veto au Conseil de Sécurité et ainsi empêcher la naissance de l'État palestinien. M. Obama souhaite qu'un accord de paix soit d'abord conclu entre Israël et la Palestine. Lorsque l'on sait à quel point le lobby juif joue un rôle important lors d'une élection présidentielle aux États-Unis - celle-ci étant prévue en novembre 2012 - on comprend la logique électorale de M.Obama. Quant à M.Abbas, il savait certainement que les États-Unis allaient s'opposer à sa démarche, mais l'idée est d'isoler encore davantage les Américains sur la scène internationale et raviver leur image d'empêcheurs de tourner en rond.

Au niveau régional, il est clair que M. Abbas souhaite profiter du momentum initié par le "Printemps arabe". La chute de plusieurs dictatures dans le monde arabe (Tunisie, Égypte, Libye...) et la poussée des mouvements démocratiques dans la région incitent M. Abbas à passer à l'action. Il a lui même affirmé que c'était maintenant l'heure du printemps palestinien, c'est-à-dire l'heure de l'indépendance.

Est-il aussi nécessaire de rappeler qu'Israël a perdu un allié précieux dans la région, avec le départ de M. Moubarak en Égypte? Depuis, les relations entre Israël et l'Égypte sont immensément tendues, l'État hébreux ayant dernièrement rapatrié son personnel diplomatique suite à une attaque de son ambassade au Caire par des manifestants. Ces derniers protestaient contre la mort de cinq policiers égyptiens, morts dans une opération militaire israélienne à la frontière entre les deux pays.

Que dire enfin des relations entre Israël et la Turquie, qui sont elles-aussi très froides? La Turquie a dernièrement expulsé l'ambassadeur d'Israël, car les autorités israéliennes refusent de s'excuser pour les attaques menées sur la flottille humanitaire qui tentait de percer le blocus de Gaza, en mai 2010. Neuf turcs avaient trouvé la mort dans cette attaque.

La stratégie de M.Abbas est clair: isoler encore davantage Israël.

Des conséquences incertaines

La stratégie de M.Abbas est intelligente. Elle est aussi moralement juste. Depuis la guerre des six jours en 1967, l'occupation et la colonisation des territoires palestiniens par l'armée israélienne se sont poursuivies à un rythme infernal, malgré la résolution 242 de l'ONU qui réclame explicitement le retrait des troupes israéliennes. Si la colonisation se poursuit à cette vitesse, l'idée même d'un État palestinien deviendra absurde, celui-ci mourant d'asphyxie avant même sa naissance. Le temps presse donc pour M.Abbas et les Palestiniens.

Un des risques de cette démarche, c'est que devant le refus des États-Unis et du Conseil de sécurité de l'ONU d'accepter la Palestine en tant qu'État membre, la rue arabe s'enflamme. Pire encore, une guerre entre la Turquie et Israël n'est pas à exclure.

Pour éviter ces scénarios pessimistes, j'espère sincèrement que l'on saura trouver une voie mitoyenne. La plus réaliste - à court terme - c'est que la Palestine obtienne le statut d'État non-membre de l'ONU. Pour y accéder, il n'est pas obligatoire de passer par le Conseil de sécurité: seul un vote de l'Assemblée générale est exigé et la Palestine pourrait gagner ce pari. Avec ce statut, la Palestine pourrait participer à quelques instances de l'ONU, mais ne pourrait pas avoir de vote à l'Assemblée générale ou siéger au Conseil de sécurité.

À moyen terme, il faudrait bien évidemment en venir à un accord de paix négocié de bonne foi entre Israël et la Palestine. Tôt ou tard, deux États devront vivre côte-à-côte. Nous n'en sommes pas là pour le moment.

2 commentaires:

  1. mais a-t-on de besoin de l'accord d'Israël pour reconnaître la Palestine? la paix viendront entre eux deux un jour, la communauté internationale peut quand même trancher!?

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  2. Je ne suis pas sûr qu'on peut se passer de l'accord d'Israël. Il va bien falloir négocier quelque chose un jour, sinon, c'est la loi du plus fort qui l'emporte et à ce jeu, on sait qui gagne. À moins, ce qui m'inquiète un peu, qu'une guerre éclate dans la région pour tenter de forcer la main à Israël.

    La seule vraie solution (très difficile à obtenir, j'en conviens), c'est une entente mutuelle Israël-Palestine.

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