jeudi 29 mars 2012

Québec, Montréal et la grève étudiante: deux solitudes

Nicolas Bourdon

Au moment où j’écris ces lignes, l’association étudiante du Collège de Bois-de-Boulogne où j’enseigne vient de reconduire son mandat de grève jusqu’à ce que la ministre Beauchamp décide de déposer une offre aux étudiants. La manifestation de jeudi dans les rues de Montréal a réuni un nombre record de manifestants. Et à Québec ? À Québec, rien ne bouge. Ou du moins presque rien… En effet, on ne retrouve actuellement aucun cégep de Québec en grève générale. Dans la Vieille Capitale, en somme, seulement la moitié des étudiants de l’Université Laval sont en grève, peut-être maintenant un peu moins, car les 3600 étudiants en sciences sociales que compte l’université viennent tout juste de voter contre la grève.

Vus de Montréal, ces résultats paraissent surprenants et on se frotte les yeux en se disant que la ville de Québec est décidément un mystère indéchiffrable. Et cependant, quand on y regarde de plus près, l’énigme Québec peut être comprise à la lumière de certains faits.

Allégeances politiques

À l’élection fédérale de 2011, il est certain que la vague orange s’est fait ressentir à Québec comme d’ailleurs dans toutes les régions du Québec, mais il s’agit selon moi d’un mouvement éphémère et superficiel et non d’un phénomène profond. D’ailleurs, il faut mentionner que sur les cinq comtés remportés en 2011 par les Conservateurs au Québec, trois proviennent de la région : il s’agit de la Beauce, de Lévis-Bellechasse et de Lotbinière, trois comtés situés en face de Québec, sur la rive sud du fleuve. Notons aussi que le très coloré animateur de radio André Arthur a été député du comté de Portneuf de 2006 à 2011. L’homme, qui ne semble pas éprouver trop de remords d’avoir manqué 44 journées de vote à son dernier mandat à la Chambre des communes, préférait souvent les voyages en autobus à son métier de politicien . Si la présence d’André Arthur aux communes était pour le moins inconstante, la constance de sa fidélité envers les Conservateurs était par ailleurs bien connue et il a toujours voté pour les projets de loi du gouvernement Harper; ceux-ci lui rendaient d’ailleurs bien ses loyaux services en ne présentant aucun candidat contre lui. Le nouveau Parti conservateur du Québec, qui regroupe nombre d’anciens militants de l’ADQ selon lesquels la CAQ est trop à gauche, est dirigé par Luc Harvey, ancien député de la circonscription de Louis-Hébert, circonscription comprenant la partie Ouest de la ville de Québec.

À la dernière élection provinciale de 2008, la grande région de Québec a élu seulement deux députés du PQ sur les onze que comptent la région; le PLQ a en élu sept et l’ADQ en a élu deux; Québec solidaire n’a réussi aucune percée dans la région et ses résultats sont bien souvent en-dessous de 5% des voix exprimées au scrutin. À la lumière de ces informations, on comprend donc que les cégépiens et les universitaires de Québec proviennent souvent de familles où la droite, du moins la droite économique, est fort bien implantée.

Les médias de Québec

En juillet 2004, 50 000 personnes descendaient dans les rues pour protester contre le refus du CRTC de renouveler le permis de diffusion de CHOI 98.1 Radio X; le CRTC avait pris cette décision suite aux nombreuses plaintes reçues à cause des propos controversés tenus par l’animateur Jeff Filion. Ce poste de radio, qui véhicule les idées de la droite populiste, demeure encore aujourd’hui très populaire à Québec et ses animateurs prennent position contre la grève de façon virulente. Ils font notamment la promotion de la pétition qui a été présentée à l’Assemblée nationale pour dépolitiser les associations étudiantes. Selon cette pétition, les associations étudiantes devraient rester neutres sur le plan politique et elles ne s’occuperaient plus que d’enjeux ne dépassant pas les murs de leur institution d’enseignement. On comprend bien sûr qu’une telle pétition, si elle était adoptée par le gouvernement, briserait les mouvements de grève étudiants, car les cotisations obligatoires que chaque étudiant doit payer à son association étudiante ne pourraient plus financer les mouvements de grève.

Quant à Jeff Filion, il n’est plus animateur à CHOI, mais il a fondé son propre poste de radio : Radio Pirate, qui diffuse à partir de Québec. On peut notamment entendre à son émission la pétulante Johanne Marcotte (qui a aussi sa chronique à CHOI), libertaire et cofondatrice du Réseau Liberté-Québec, un mouvement visant à réseauter la droite québécoise et dont le congrès de fondation s’était déroulé à… Québec en 2010 ! Madame Marcotte a notamment écrit dans son blogue : « Oh oui ! Ils l’ont facile, ces étudiants, comme nous tous d’ailleurs. Car non seulement il est juste et raisonnable de demander aux étudiants d’assumer une plus grande part des coûts de leurs études universitaires, il le serait probablement tout autant d’exiger qu’ils assument dorénavant une part, au moins symbolique, de leurs études collégiales ! » Madame Marcotte a d’ailleurs voulu identifier clairement son blogue à la capitale nationale et sur sa page d’accueil on peut contempler une image "carte postale" de la vieille ville et du fleuve Saint-Laurent.

La gauche peut-elle espérer s’implanter un jour à Québec ? Selon le rapport Alarie qui avait été rédigé par Hélène Alarie pour expliquer la déconfiture du Bloc aux élections fédérales de 2006, si un parti politique souhaite s’imposer à Québec, il n’aura d’autre choix que d’épouser certaines valeurs conservatrices. Son opinion est-elle justifiée ? Nous espérons qu’elle se trompe, mais l’échec relatif du mouvement étudiant dans la vieille capitale nous montre assurément que la gauche devra mettre les bouchées doubles pour remporter le cœur des citoyens de Québec.

2 commentaires:

  1. Et à ton avis Nicolas, pourquoi la droite perce-t-elle plus facilement à Québec? Une ville fonctionnarisée? Une ville moins diversifiée culturellement? Une dialectique Québec-Montréal?

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  2. Jean-François Cloutier dans son essai Jeff Fillion et le malaise québécois identifie plusieurs pistes qui peuvent nous aider à comprendre le conservatisme de la ville de Québec. Il y a notamment le fait que Québec abrita longtemps une garnison militaire et qu'aujourd'hui encore on retrouve une base militaire importante (la base militaire de Valcartier) à seulement 25 km de Québec. Les militaires sont généralement enclins à voter pour le Parti conservateur à cause de l'importance que ce gouvernement accorde à l'armée canadienne. Cloutier estime aussi que la religion a eu et a encore un certain impact à Québec beaucoup plus qu'à Montréal. Pour terminer, une observation qui provient de moi et non de Cloutier: la population de Québec est une population vieillissante: le comté de Jean-Talon, en plein cœur de la ville, est le comté où la moyenne d’âge est la plus élevée au Québec. Or, les personnes âgées sont une clientèle cible du Parti libéral. Voilà ! Ce ne sont que quelques pistes, il faudrait bien sûr approfondir davantage.

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