mercredi 21 mars 2012

Pont Champlain et désobéissance civile

Félix-Olivier Riendeau

Depuis le début de la grève étudiante il y a quelques semaines, de petits groupes d'étudiants ont bloqué différentes routes importantes dans la grande région de Montréal. Hier, c'est la circulation sur le pont Champlain qui a été paralysée par une centaine d'étudiants. Suite à l'intervention des policiers de la S.Q., 80 étudiants ont été arrêtés et ont chacun reçu une contravention de 494$.

Un constat d'infraction justifié

Face à cette situation, des étudiants "fautifs" font valoir qu'ils ont le droit de manifester et qu'ils ne devraient pas recevoir de contraventions. D'un autre côté, plusieurs automobilistes et citoyens estiment que le blocage d'artères routières importantes est un moyen de pression exagéré et injustifié. Il est donc normal qu'un constat d'infraction soit émis.

J'appartiens au deuxième camp. Non que je ne sois pas solidaire de la grève étudiante. Je l'ai déjà écrit sur ce blogue, je considère la grève justifiée et je comprends que certains étudiants (une minorité, disons-le d'emblée) souhaitent organiser des coups d'éclats en espérant faire monter la pression sur le gouvernement. Mais s'il n'y avait aucune conséquence à ce qu'un groupe bloque une route pour mettre pression sur les autorités, cette méthode d'action serait utilisée abusivement, pour des motifs de différents ordres.

Par ailleurs, les étudiants devaient eux-mêmes s'attendre à recevoir un constat d'infraction pour leur geste de désobéissance civile. En effet, pour qu'un tel geste fasse sens, il est nécessaire qu'il y ait une conséquence légale afin d'attirer l'attention du public sur la légitimité de la cause défendue. C'est ce que soutient le sociologue français Albert Olgien dans un texte paru dans la revue Problèmes politiques et sociaux (octobre 2011). Dans la définition qu'il propose de la désobéissance civile, il affirme que:

" pour qu'un refus de remplir une obligation légale ou réglementaire compte pour une désobéissance civile, il doit remplir certaines conditions: être exprimé publiquement, en nom propre, de façon collective, en spécifiant en quoi cette action bafoue un droit élémentaire et en fondant cette revendication sur l'invocation d'une principe supérieur (d'égalité, de justice, de solidarité ou de dignité). Et ce n'est pas tout: il faut encore et surtout que ce refus fasse l'objet d'une action en justice (civile ou administrative) afin que la sanction éventuellement prononcée rouvre un débat public sur la légitimité de l'obligation contestée."

Dans le cas qui nous intéresse, il n'y a pas eu de recours direct en justice, mais il me semble qu'il y avait là une volonté délibérée de s'attirer une sanction, dans le but de soulever un débat. Autrement dit, c'était dans la nature même du geste posé de recevoir un constat d'infraction.

Cela est de bonne guerre, alors j'accepte de me prêter à cet exercice de discussion. J'estime que la cause défendue par les étudiants est juste, mais je ne crois pas que le blocage des ponts le soit.

D'autres moyens de pression

D'abord, le blocage des ponts est non seulement dangereux pour les étudiants eux-mêmes, il engendre de nombreuses frustrations chez les automobilistes et cette situation élève le niveau d'émotivité du débat sur la hausse des frais de scolarité, avec les risques de dérapages violents que cela peut occasionner.

Ensuite, il y a d'autres façons d'attirer l'attention des médias et de la population sur l'enjeu de la hausse des frais de scolarité, qu'il s'agisse de manifestations monstres à répétition, de chaînes d'individus vêtus de rouge dans le métro de Montréal ou encore du passage d'un leader étudiant sur le plateau d'une émission populaire très regardée comme Tout le monde en parle.

Je comprends que le but d'une grève est de susciter un dérangement public, mais celui-ci était bien réel avant même qu'on songe à bloquer des ponts. La grève n'est-elle pas, en soi, une action forte et significative?

La crainte du gouvernement d'avoir à annuler une session, avec toutes les complexités administratives que cela occasionnerait, représente aussi un moyen de pression efficace. Il est d'ailleurs paradoxal d'entendre la ministre de l'Éducation Line Beauchamp faire peur aux étudiants en menaçant d'annuler la session, alors que c'est le gouvernement lui-même qui a le plus à perdre d'une telle situation. En effet, aucun directeur de cégep (ni aucun ministre) ne veut avoir à gérer le casse-tête que représenterait l'arrivée dans leur établissement d'une nouvelle cohorte d'étudiants en provenance du secondaire, alors que la cohorte qui s'apprêtait à quitter pour l'université devrait reprendre ses cours. Cette fois, l'embouteillage ne serait pas uniquement sur le pont Champlain, mais dans tout le réseau collégial.

Enfin, l'opinion publique est un allié précieux pour les étudiants et le blocage de ponts est toujours mal perçu à ses yeux. J'ai donc été surpris de voir une étudiante affirmer que le blocage du pont Champlain "nous nuira peut-être dans l'opinion publique, mais notre rapport de force n'est pas avec le public, mais avec le gouvernement." Ce que ne réalise peut-être pas cette étudiante, c'est que le poids électoral des jeunes est nul et son taux de participation aux élections est très bas. Si le gouvernement sent que l'opinion publique est en sa faveur, je ne vois pas ce qui l'empêcherait de demeurer ferme face aux demandes étudiantes. La cote de popularité des libéraux étant si basse, je crains qu'ils soient prêts à prendre ce risque

Ce type d'action est donc une importante erreur stratégique pour le mouvement étudiant et il me semble que leurs leaders ne devraient pas hésiter à condamner ces gestes, ce qu'ils n'ont pas fait jusqu'à maintenant.






2 commentaires:

  1. Voir le Centre de ressources sur la non-violence sur la désobéissance civile.

    http://www.nonviolence.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=308&Itemid=1

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  2. Bonjour,

    Je ne connaissais pas ce site. Merci pour le lien.

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