mardi 27 mars 2012

Le rapport étudiant-enseignant en contexte de grève

Félix-Olivier Riendeau

Le mouvement étudiant qui est mobilisé à l'heure actuelle au Québec en est un qui ne peut pas être ramené à une simple forme de corporatisme, comme la ministre de l'Éducation Line Beauchamp le prétend souvent. L'opposition à la hausse draconienne des frais de scolarité (75% en cinq ans) est justifiée (comme je l'ai expliqué dans un billet précédent), tout comme l'est la grève.

Si ce mouvement ne peut être associé à une forme de corporatisme, c'est que non seulement il est en lien avec les générations précédentes, mais il vise aussi à laisser un legs aux générations futures.

D'une part, il faut se rappeler que dans les années 1960, le rapport Parent jettant les bases du système d'éducation au Québec (création du ministère de l'Éducation, création du Conseil supérieur de l'éducation, création des cégeps...) se prononce en faveur de la gratuité scolaire et soutient que le Québec devrait sérieusement l'envisager dans un souci de démocratisation du savoir. Il me semble que le mouvement étudiant à l'heure actuelle cherche à nous rappeler les conclusions de ce rapport, qui avait fait l'objet d'un réel consensus à l'époque. D'autre part, la lutte des étudiants en grève risque de bénéficier à toute une génération de jeunes qui sont actuellement à l'école secondaire et qui fréquenteront éventuellement les établissements universitaires.

Ces précisions étant apportées, la question que je me pose est celle-ci: dans la mesure où la cause défendue par les étudiants en grève en est une qui est considérée juste et dépassant leurs propres intérêts corporatistes, jusqu'à quel point l'enseignant doit-il s'impliquer dans ce mouvement et supporter cette cause?

S'il est clair qu'il est lui aussi touché de près par les enjeux du financement universitaire et de l'accessibilité aux études, son niveau d'implication dans le mouvement étudiant le semble moins.

Les limites de l'implication enseignante

Disons-le d'emblée, l'enseignant est un citoyen comme les autres et il n'a pas à renoncer à son droit de parole dans la Cité du fait de son statut. En ce sens, il m'apparaît essentiel qu'un enseignant prenne position dans différentes tribunes publiques (journaux, radio, télévision, médias sociaux, conférences....) afin d'exprimer son point de vue sur cette question importante, qu'il soit pour ou contre la hausse des frais de scolarité. C'est, au demeurant, un de ses rôles que de vulgariser certaines connaissances et d'alimenter la réflexion critique.

Il m'apparaît aussi tout à fait légitime que ces mêmes enseignants se rendent à des activités publiques telles que des manifestations ou des sit-in organisés par le mouvement étudiant. Il s'agit-là d'un droit politique fondamental qu'il est essentiel d'encourager dans une société démocratique.

Là où j'éprouve parfois un malaise devant le niveau d'implication de certains enseignants dans la cause étudiante, c'est lorsque que ce support est manifesté au sein de l'établissement dans lequel les étudiants et les enseignants se côtoient au quotidien.

Un exemple suffira à préciser ma pensée.

Au moment où les assemblées étudiantes font leur vote de grève (à chaque semaine généralement), plusieurs enseignants n'hésitent pas à se rendre à l'entrée du collège, voire même à l'entrée de la salle où le vote se tient, afin de manifester leur support à la cause et inciter les étudiants à voter en faveur de la grève.

Ces enseignants réalisent-ils qu'ils contreviennent à un principe de base en démocratie? Ce principe veut que sur un lieu de vote, nul ne peut utiliser de slogans ou d'affiches publicitaires afin d'exprimer son allégeance. La loi électorale est d'ailleurs explicite à cet égard (article 352, p.119).

Ces enseignants réalisent-ils qu'ils rendent encore plus difficile la participation des étudiants qui seraient contre la grève, mais qui n'osent pas aller s'exprimer dans des assemblées où l'expression de la dissidence n'est déjà pas toujours facile, notamment à cause des nombreux votes qui se prennent à main levée?

Imagine-t-on le climat explosif qui serait créé si des membres de la direction ou d'autres enseignants hostiles à la grève se rendaient eux aussi devant le lieu d'une assemblée pour exprimer leur position? La situation serait non seulement absurde, mais risquerait d'envenimer les relations de travail entre les employés de l'établissement.

Enfin, certains professeurs n'hésitent pas à inciter leurs étudiants à voter en faveur de la grève, dans le cadre de leurs cours. Bien que je ne pense pas que cette pratique soit généralisée (comment vérifier?), ai-je besoin de préciser à quel point ce comportement est contestable? Le rôle de l'enseignant est de donner les outils conceptuels à l'étudiant pour l'aider à se forger sa propre opinion, pas de lui "vendre" la sienne. Si j'étais un étudiant contre la grève, je serais mal à l'aise que mon enseignant s'immisce dans un débat où au final, seuls les étudiants en grève ont à en payer le prix (perte d'un emploi d'été, retard sur le marché du travail), alors que les enseignants eux continuent de recevoir leur salaire.

Paternalisme?

Les autres questions qui me tiraillent touchent le thème du paternalisme. À partir de quel moment l'implication d'un enseignant dans le mouvement étudiant devient-il infantilisant? À partir de quand les encouragements des enseignants favorables à la grève deviennent-ils des éléments qui confortent les étudiants dans leur position et les limitent dans leur propre réflexion? Par ailleurs, les étudiants en demandent-ils autant de leurs enseignants? N'ont-ils pas brillamment démontré qu'ils pouvaient organiser leur mouvement de manière autonome?

À ce propos, je vous invite fortement à écouter la courte conférence (insérée à la fin de ce billet) de François Huot, professeur à l'École de travail social de l'UQAM, qui développe certaines idées fort intéressantes et qui rejoignent certaines de mes préoccupations.


6 commentaires:

  1. Article pertinent Félix! Tu rappelles à propos que nous devons d'abord et avant tout être des démocrates. Pour ma part, je me suis fixé les limites suivantes: je ne manifeste jamais à l'intérieur des murs du collège et je ne prends pas position dans mes classes.
    Nicolas Bourdon, Montréal

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  2. Même si je suis un étudiant et pas un enseignant, ce texte me choque particulièrement beaucoup.

    J'admets tout de même que le texte est très intéressant, car il suscite un débat hautement nécessaire. Le rapport étudiant-enseignant n'est en effet pas à prendre à la légère, surtout lorsqu'il est question d'un rapport d'autorité. Il est vrai qu'à l'intérieur des classes, les enseignant-e-s ne sont pas censé-e-s endoctriner les étudiant-e-s, mais peut-être plutôt de leur fournir au moins les outils qui vont les permettre de faire un choix éclairer.

    Mais voilà aussi pourquoi ça me choque, lorsqu'on réduit ainsi le rôle de l'enseignant à de simples exécutants de tâches, des machines devant suivre à la lettre les indications données par la direction. Ça me semble intolérable de les traiter ainsi. Oui ce sont des citoyens, et avant tout oui des enseignants dans les classes, mais par dessus tout, ce sont des être humains.

    Et je ne suis surtout pas en train de dire que les enseignants devraient avoir le droit de faire tout ce qu'ils veulent sans égards aux lois, principes, fondements de notre société démocratique, mais il me semble que dans ce contexte de contestation générale, surtout lorsque l'objet principal concerne l'éducation, il me semble que les enseignants ne devraient pas avoir peur de se faire taper sur les doigts parce ce qu'ils-elles n'a pas écouté à la lettre les directives de son patron.

    Je sais que ce que je viens de dire est complètement aberrant, et peut-être mérite une punition, puisque ça remet en question l'ordre établi.

    Mais je n'aime pas ce que je vois : cette tendance à faire peur les enseignants, et créer une société de terreur, ou tous devraient toujours respecter l'ordre, à toute petite lettre, cette tendance à condamner sans nuance et tellement dans le mépris de ces individus qui ont un rôle si noble à jouer dans notre société.

    Monsieur Bourdon disait ''je ne prends pas position dans mes classes''. Mais ne pas prendre position n'est-ce pas déjà prendre position? Messieurs, les étudiant-e-s ne sont pas dupes (moi en tout cas pas), et lorsqu'un prof dit ne pas prendre de position, ça nous apparaît autrement comme prendre la position de l'indifférence.

    Mais je ne crois pas que nos enseignants soient à ce point indifférents. Certains bien entendu, sont simplement peureux-peureuses, mais plusieurs sont capables de mettre sur table devant les étudiants un vrai débat et d'exposer les implications d'une telle contestation. Et parler du débat à ses étudiants, accorder donc de l'important à ce débat, c'est prendre position. Alors cessez de dire que les profs de devraient pas prendre des positions. Cessez de dire qu'ils-elles devraient se taire, cessez de dire que les profs ne sont pas des citoyens.

    Avec tout le respect que j'ai pour vous,

    C. N.

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  3. @ C.N

    Merci pour ce commentaire. En effet, ce billet visait à susciter un débat sur une question
    qui a été peu discutée durant cette grève.

    Bien sûr que l'enseignant ne doit pas être un simple exécutant. Vous avez aussi tout à fait raison que de nombreux étudiants ne sont pas dupes et sont capables de faire la part des choses, même si le professeur prend une position. De toute manière, l'étudiant attentif sera capable de reconnaître certaines positions du professeur (si cela le préoccupe vraiment), même si celui-ci ne les détaillent pas.

    Je tiens aussi à préciser que je ne prétends pas que le professeur ne doit pas prendre position sur la grève. Je vous invite à relire mon texte et il me semble que je suis clair sur ce point: il est nécessaire de prendre la parole dans l'espace public et l'enseignant ne doit pas renoncer à ce droit. Il est un citoyen comme les autres (je le dis explicitement) et n'a pas à se taire, cela me semble évident. Voilà d'ailleurs une des raisons pour lesquelles j'ai créé ce blog.

    Je ne prétend même pas qu'il ne doit pas discuter de la grève et ses enjeux avec ses étudiants en classe, bien au contraire. Mais je crois qu'il doit s'abstenir de les inciter à voter dans un sens ou dans l'autre lors de leur assemblée (il doit cependant les inciter à y participer!). Tout comme je ne dirai jamais à un étudiant qu'il ferait mieux de voter pour tel parti plutôt qu'un autre. Voilà où j'émettais un certain nombre de réserves.

    Enfin, ne vous inquiétez pour les enseignants qui comme moi tentent de nuancer leurs rapports avec les étudiants en contexte de grève. Ils sont tout autant capable de mener des batailles et d'établir un rapport de force avec leurs patrons lorsqu'ils le jugent nécessaire. Il n'est pas donc pas question ici d'avoir peur de quoi que ce soit.

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  4. Bonjour M. Riendeau,
    Je suis en effet heureux et soulagé de voir que des enseignants comme vous ayez le réflexe de remettre en question vos pratiques ainsi que celles de vos collègues. Cela peut-être est-il un geste courageux, je ne sais.

    En suivant votre recommandation, j'ai relu votre texte et j'ai bien vu la bonne foi de vos propos. Une autre question m'est apparue : à vouloir trop respecter et faire valoir les principes de la démocratie (libérale il faut je crois préciser, et donc la démocratie ayant déjà fortement un parti pris...), n'en vient-on pas à défendre, privilégier un groupe d'individus plus qu'un autre?

    Et je veux dire...dans la contestation globale contre la hausse des droits de scolarité, n'est-ce pas les étudiants appuyant la grève qui ont le plus besoin de support? Je ne crois pas que les étudiants qui sont contre la grève soient réellement menacés, voire intimidés. Il me semble que les étudiants s'affichant comme des militants, des ''remetteurs de l'ordre établi en question'', voire pourquoi pas des ''emmerdeurs'' de patrons, sont davantage susceptibles d'être marginaliser par l'État, ce sont eux qu'il faut supporter et défendre. Pas ceux qui ont déjà M. Charest et sa compagnie comme fidèle alliés, il me semble...

    Les différents mouvements contre la hausse réclament une meilleure qualité de vie, face à l'oppresseur-e, face au pouvoir. Un penchant, manifeste ou pas, de la part des professeur-e-s envers la cause étudiante et ses moyens de pressions est, il me semble, légitime.

    Mais je vous merci quand même d'avoir amener le débat, c'est en efeffet nécessaire de repenser nos gestes et de bien comprendre les implications qu'ils peuvent avoir sur l'ensemble de la société.

    Je continue de vous d'essayer de vous lire,

    C.N.

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  5. Encore une fois, je le répète. La discussion porte sur le rôle que le prof joue à l'intérieur de l'établissement dans lequel il travaille et dans ses classes.

    Dans la rue, c'est différent et je suis de ceux qui n'hésitent pas à aller manifester aux côtés des étudiants et à leur donner mon support, car leur grève est juste.

    Enfin, je comprends votre fougue et votre enthousiasme, mais le mot oppresseur m'apparaît ici un peu fort. S'il est ici question d'oppression, comment qualifier la situation syrienne, pour ne nommer que celle-là?

    Bien à vous.

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  6. Pourrais-je publier ce texte dans le prochain numéro du Espécéaime? Écris-moi.
    Le voisin.

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