lundi 12 mars 2012

Refaire son cours d'économie 101

Je n'ai jamais été parfaitement à l'aise avec l'actualité économique et les nouvelles portant sur les variations des indices boursiers, sur l'évolution du taux de chômage ou encore sur les variations du prix du pétrole. Les explications des commentateurs et autres experts économiques me paraissent souvent alambiquées, abstraites et déconnectées de la réalité. Elles n'en demeurent pas moins fondamentales à comprendre, puisque les politiciens s'y appuient pour prendre l'essentiel de leurs décisions. Comment saisir l'ampleur de l'actuelle crise économique (qui a débutée en 2008, avec la crise des "subprimes"), sans une habileté à discuter des notions qui s'y rattachent?

Si vous partagez ce sentiment, alors la lecture de Petit cours d'autodéfense en économie (Lux: 2011) est pour vous. Cet ouvrage de vulgarisation rédigé par Jim Stanford, chroniqueur au Globe and Mail et économiste au sein du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile, a deux grands mérites.

Le premier est qu'il explique les principales notions économiques (l'inflation, la politique fiscale, le rôle des banques centrales, la politique monétaire, la pauvreté, etc.) dans un langage clair et accessible. Le second est que Stanford a le souci constant de lier ses explications à des rapports sociaux précis et concrets. Trop souvent, les économistes appuient leurs discours sur des prémisses qui ne vont pas de soi. On suppose par exemple que l'être humain a une nature égoïste et individualiste, alors que Stanford rappelle avec justesse que le capitalisme a plutôt une nature sociale et coopérative. Même le plus riche milliardaire n'aurait pu, prétend Stanford, accumuler toute cette fortune sans le soutien de ses travailleurs, fournisseurs et clients.

La déconstruction d'un mythe tenace

L'ouvrage de Stanford est touffu (491 pages) et aborde des notions aussi diverses que l'histoire de la science économique, la mondialisation, le fonctionnement des caisses de retraite, le lien entre capitalisme et environnement, le rapport entre travailleurs et patrons, etc.

J'ai particulièrement apprécié le chapitre 19 de l'ouvrage, dans lequel Stanford s'efforce de déconstruire un mythe tenace chez beaucoup d'économistes et de commentateurs de droite: celui qu'une intervention trop importante de l'État, à travers les impôts et\ou les règlementations, nuit à l'efficacité des marchés et à la bonne performance de l'économie. Au Québec, de multiples commentateurs de droite se plaisent ainsi à condamner le "modèle québécois" (cet État interventionniste hérité de la Révolution tranquille) au prétexte que les programmes sociaux qui lui sont associés (garderies, congés parentaux, assurance-maladie, pensions, etc.) coûtent trop cher au trésor public. On laisse aussi entendre que trop d'individus vivraient au crochet de l'État, de manière paresseuse. Un État minimal inciterait ces individus à se responsabiliser et à être plus productif pour l'économie.

Stanford rappelle combien ce discours néglige le fait que la naissance même de l'économie capitaliste s'explique par les actions d'un État fort et centralisé. Au 18e siècle, en Angleterre, le gouvernement britannique a donc mis en place un marché intérieur dynamique:

"en éliminant les barrières qui séparaient les enclaves féodales, en standardisant les poids et mesures et en rendant les routes praticables et sûres. Il a fait de même à l'échelle mondiale en recourant à la force pour garantir l'accès aux matières premières et aux marchés d'exportation. Il a protégé les premiers capitalistes en leur octroyant des brevets et en appliquant des tarifs douaniers. Enfin, par le mouvement des enclosures, il a contribué à instaurer la primauté de la propriété privée des terres sur les droits d'usage, suscitant l'émergence de la nouvelle classe de travailleurs sans terre et prêts à tout dont les industriels avaient grand besoin." (p.317)

Encore aujourd'hui, l'État intervient fortement pour venir en aide aux entreprises privées. En fait, ces mêmes commentateurs de droite qui condamnent les programmes sociaux fournis par l'État exigent paradoxalement que celui-ci intervienne pour protéger et\ou stimuler leurs investissements. Stanford dresse donc une liste exhaustive des "services" rendus par l'État à l'entreprise privée, qu'il s'agisse de la protection de la propriété privée (forces de l'ordre, brevets), du financement des infrastructures (routes, ponts, aqueducs, communications...), des sauvetages d'entreprises (GM par exemple), des encouragements fiscaux et subventions, du financement de la formation de base des travailleurs, de l'ouverture à de nouveaux marchés à travers des accords de libre-échange, etc.

Jim Stanford est un économiste de gauche et cela transparaît tout au long de son ouvrage. Cela ne pose pas de problème, même si certains passages peuvent être moralisants et simplistes, par exemple cette boutade à l'endroit du plaisir de faire du lèche-vitrine (p.429), que l'auteur associe à l'endoctrinement et à l'aliénation.

Sur le fond, Stanford est toutefois un réaliste et ne va heureusement pas jusqu'à proposer une révolution socialiste. Il reconnaît entre autres que les gouvernements doivent continuer de proposer des mesures favorables à l'investissement privée ou encore à l'innovation et au développement technologique.

En somme, un ouvrage instructif et nuancé, offrant une perspective critique intéressante et stimulante. À lire.





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