Nicolas Bourdon
Les injonctions qui
pleuvent présentement sur le mouvement étudiant doivent être considérées comme
de graves entraves à la démocratie. Qu’elles aient lieu à l’Université de
Sherbrooke, à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) ou au Collège de
Rosemont, ces injonctions suivent toujours le même modus operandi : une poignée d’étudiants (parfois un
seul !) se présentent en cour et demandent au juge d’ordonner un retour en
classe ; les juges obtempèrent rapidement et donnent raison aux plaignants.
Et pourtant, les
mandats de grève ont été votés dans des assemblées générales ; ils sont le
résultat d’un processus démocratique et ils sont donc l’expression du souhait
de la majorité des étudiants. En ordonnant une reprise des cours, les juges
devraient donc considérer qu’ils privilégient des individus peu nombreux au
détriment d’une majorité. Ils demandent ainsi à l’université ou au cégep touché
par leur injonction de balayer du revers de la main le fait que les
associations étudiantes sont les représentantes légales de tous les étudiants
de l’établissement (Loi sur
l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants,
section 5, article 28) et que les directions doivent
respecter les décisions prises par ces associations.
Les
directions des institutions d’enseignement ont d’ailleurs commencé par
reconnaître la légitimité des mandats de grève en signant avec les associations
étudiantes des ententes selon lesquelles elles levaient les cours pendant la
période touchée par le mandat de grève. Dans plusieurs cas, les mandats de
grève ont été respectés par les directions depuis plus de deux mois ; on
peut alors comprendre le désarroi des étudiants grévistes qui se font dire
soudainement qu’on ne respecte plus la légitimité de leur mouvement parce qu’un
juge, quelque part, en a décidé ainsi.
Est-il
trop demandé aux juges qu’ils se posent quelques questions à propos de la paix
sociale avant de rendre leur jugement ? Il est bien sûr à prévoir que des
étudiants ayant entre les mains un vote de grève majoritaire de leur assemblée vont
vouloir manifester sur leur campus pour protester contre ce qu’ils considèrent
à juste titre comme une décision inique. Les étudiants de même que plusieurs
professeurs estiment, et ils ont raison, que l’escouade antiémeute et les
policiers n’ont aucune raison d’envahir leur institution lorsque la grève a été
votée en bonne et due forme.
On
assiste parfois à des scènes surréalistes. On apprenait récemment que la
direction de l’UQO avait elle-même demandé au juge une levée des cours, car
elle voulait respecter la décision majoritaire de l’assemblée étudiante et elle
craignait qu’il y ait du grabuge si le mandat de grève n’était pas respecté. Le
juge a refusé au grand dam du recteur Jean Vaillancourt qui a condamné la
judiciarisation du débat. Mais avoir contre son jugement à la fois les
étudiants et la direction de l’université, ce n’était pas assez pour lui ;
il préférait donner raison à une poignée d’étudiants nombrilistes. À
l’Université de Sherbrooke, les étudiants en lettres et sciences humaines qui
ont demandé une injonction ont eux-mêmes déploré la portée de la décision du juge
Gaétan Dumas. Celui-ci a ordonné une reprise des cours pour l’ensemble de
l’université et non seulement pour la faculté des lettres et des sciences
humaines. Quand le juge en donne plus que le client en demande, on est en droit
de se poser quelques questions, non ?
Le
gouvernement, par son attitude intraitable, est bien entendu le grand responsable
de la crise actuelle. Line Beauchamp a en effet ajouté de l’huile sur le feu en
disant il y a une semaine que « toutes les mesures devraient être prises » pour
que les cours reprennent et elle a encouragé explicitement les étudiants
qui le désiraient à demander des injonctions aux tribunaux. Il est désolant de
constater qu’une politicienne estime qu’une question éminemment politique comme
la grève puisse se régler en cour. Grâce aux injonctions, certains étudiants
peuvent éviter de participer aux assemblées étudiantes et de prendre part aux
débats qui y ont lieu ; ils peuvent même, à limite, négliger de s’informer
et n’avoir qu’une connaissance très superficielle des enjeux qui secouent
actuellement le monde étudiant. C’est tout simple : un juge, quelque part,
leur évitera ce travail de réflexion par trop fastidieux ! Le message que
la ministre et les juges envoient aux étudiants est le suivant : la voix
de vos assemblées démocratiques ne compte pas, nous avons décidé qu’une
question politique ne se règlera pas par la politique ; seuls des
arguments purement légalistes ont droit de cité. Et on se demandera par la
suite pourquoi les jeunes s’intéressent si peu à la politique !
Révoltant !
Une
lueur d’espoir – heureusement il y a toujours de l’espoir ! – est venue du
Collège Saint-Jean sur Richelieu : des étudiants verts et rouges ont
manifesté ensemble contre la décision de la direction de reprendre les cours
malgré le vote de grève des étudiants. Ils ont compris ce qu’on ne comprend pas
en haut lieu : la démocratie doit être respectée.
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