mardi 10 avril 2012

1982: un coup d'État?

Félix-Olivier Riendeau

J'attends avec impatience la sortie du livre de Frédéric Bastien, enseignant au Collège Dawson, sur le rapatriement de la Constitution de 1982. Le 17 avril prochain, cela fera 30 ans que le gouvernement fédéral et neuf provinces canadiennes ont procédé au rapatriement de la Constitution, sans l'accord de René Lévesque et de l'Assemblée nationale du Québec.

Pour souligner l'occasion, M. Bastien publiera donc bientôt les résultats d'un longue enquête de sept ans, qui lui permettent de conclure que les événements de 1982 correspondent ni plus ni moins à un coup d'État.

Une trahison réelle...

Il est évident que lors de la Cérémonie de proclamation de la nouvelle Constitution, le 17 avril 1982, une incroyable injustice venait d'être commise. On donnait au Canada (et imposait au Québec) un nouveau document constitutionnel, notamment une Charte des droits et libertés et des formules d'amendement, sans que le premier ministre du Québec et sa délégation n'aient donné leur accord. Il est dorénavant convenu, dans le paysage politique québécois, de faire référence à la "nuit des long couteaux" pour qualifier cette entente qui a été scellée en 1981, et entérinée en 1982.

Les conséquences sur le Québec furent graves et innombrables. Ne serait-ce que sur le plan symbolique, on venait d'exclure les Québécois d'une démarche fondamentale dans la construction d'un pays et de son identité: la rédaction d'une constitution. Celle-ci doit être un contrat social par lequel des communautés décident de s'unir pour jeter les fondations d'un projet politique commun. Cela devrait donc constituer un moment charnière d'une histoire collective et devrait évoquer une volonté de vivre-ensemble dans un horizon de vues partagées. Le Canada a clairement manqué ce rendez-vous.

Pour la grande majorité des Québécois, 1982 évoque plutôt l'isolement et la trahison, un sentiment qui est encore très présent aujourd'hui, au point où jamais l'Assemblée nationale du Québec n'a accepté de signer le document. On a bien tenté de résoudre le problème constitutionnel par la suite (Meech, Charlottetown), avec les insuccès que l'on connaît. L'impasse perdure donc aujourd'hui, et on ne voit pas en quoi le dossier pourrait être remis à l'ordre du jour par les conservateurs, qui ont réussi à faire élire un gouvernement majoritaire à Ottawa, malgré un très faible appui de l'électorat au Québec.

Il n'est pas dans mon intention de relater ici tous les événements liés à ce rapatriement. Plusieurs le font de toute manière de façon très efficace. Rappelons simplement que les conséquences de l'adoption de la Constitution de 1982 ont été - et sont toujours- importantes et concrètes. On pense tout de suite à la portée de la loi 101, qui a été constamment réduite depuis l'insertion de la Charte des droits et libertés. C'était d'ailleurs un des objectifs de Pierre-Elliot Trudeau de s'attaquer à cette loi qu'il jugeait ignoble. Le Québec perdait aussi son veto historique en matière de réformes constitutionnelles.

De manière générale, la Charte a aussi eu comme effet de donner davantage de pouvoirs aux tribunaux et de miner la capacité d'action des gouvernements régionaux. Un exemple récent nous a été donné dans la fameuse affaire Éric contre Lola, dans laquelle la Cour suprême a invalidé l'article 585 du Code civil du Québec, qui empêchait les couples non-mariés d'exiger une pension alimentaire en cas de séparation.

Pour une collectivité qui se reconnaît comme étant une nation à part entière (et qui aurait aimé que cela soit inscrit dans la Constitution), il y a là des exemples d'intrusions fédérales qui sont inacceptables, d'autant plus que le Québec n'a jamais signé le document qui semble les justifier.

... mais une expression surprenante

Malgré l'injustice de 1982, peut-on qualifier ce rapatriement de coup d'État pour autant? M. Bastien n'est pas le premier à utiliser cette expression, puisque René Lévesque lui-même s'était exprimer ainsi au lendemain du rapatriement.

Je le répète. Il est évident que 1982 est synonyme d'injustice. Comme le rappelle justement Marc Chevrier dans ce texte intéressant (voir surtout la partie B, point 3), deux principes fondamentaux de la légitimité dans une fédération ont alors été bafoués: celui du consentement (un des partenaires a refusé l'entente) et de la continuité (la continuité légale du Québec a été rompue, entre autres en raison de l'abaissement de ses compétences en matière de langue et d'éducation).

Toutefois, le terme coup d'État me semble exagéré, voire démagogique. Règle générale, cette expression est réservée à une situation dans laquelle un groupe a fait usage des armes et de la violence pour renverser un gouvernement. Dans le cas du rapatriement de 1982, je ne vois évidemment rien de semblable, même si des droits collectifs ont pu être usurpés.

Si les événements de 1982 au Canada sont qualifiés de coup d'État, comment alors qualifierions-nous, par exemple, les événements de 1973 au Chili, lorsque le général Pinochet a renversé le gouvernement Allende? En qualifiant ainsi le rapatriement de 1982, on se trouve à mettre dans la même catégorie des événements qui peuvent difficilement être associés et à entretenir une confusion malvenue entre les termes.

Peut-être M. Bastien utilise-t-il cette expression pour attirer l'attention du public sur un débat technique et difficile pour le commun des mortels? La constitution n'est certainement pas le sujet le plus sexy qui soit, mais il est de première importance. Peut-être est-il alors de bonne guère de chercher à frapper l'imaginaire.

1 commentaire:

  1. C'est bien que vous en parlez, il y a justement un colloque sur 30 ans après le rapatriement de la Constitution de 1982, l'état des lieux aujourd'hui et demain.

    voici le lien rapide vers le site de l'événement : http://rapatriement30ans.ca/

    RépondreSupprimer