Nicolas Bourdon
Monsieur Charest, lorsqu’on lit votre projet de loi,
on est surpris, on écarquille les yeux, on se dit qu’on rêve et puis, ensuite,
quand on analyse votre attitude depuis le début du conflit, on se dit : «
Hé bien, oui, ça devait arriver. » Vous n’avez jamais accordé une grande
importance aux étudiants. Pendant la crise, vous avez préféré voyager au Brésil
et joué avec votre joujou préféré, votre obsession personnelle : le plan
Nord. Le mouvement étudiant ? Hé bien, il s’essoufflera de lui-même sinon,
c’est tout simple, les tribunaux s’en occuperont. Dès la mi-avril, Line
Beauchamp, ex-ministre de l’Éducation, a encouragé le recours aux injonctions
pour contrer les votes de grève qui avaient été pris dans les cégeps et les
universités. S’il faut absolument se souvenir d’une chose, une seule chose, de
cette crise : c’est l’infime nombre d’heures que votre gouvernement a
consacrées à la négociation; on ne peut pas laisser pourrir une chose et
ensuite s’étonner qu’elle pourrisse. Et maintenant, pour couronner le tout,
cette loi spéciale inique… Une loi spéciale improvisée et adoptée sous bâillon,
une procédure qui limite grandement les débats à l’Assemblée nationale. Une loi
qui jette de l’huile sur le feu, alors que nous souhaitons tous ardemment que
le conflit se règle sans violence.
Ma journée d’hier a été passée à écouter les débats à
l’Assemblée nationale. Au début, le nombre de manifestants maximum était de 10,
ensuite il est passé à 25, puis à 50. À un moment, je me suis dit : « Hé
bien, encore un petit effort; dans quelques heures, nous en serons à cent ! Ça
serait déjà ça de pris. » Quand même ! Quelle improvisation ! Aujourd’hui, je
lis et je relis ce fameux article 16, celui qui interdit toute manifestation spontanée.
Si les policiers l’appliquent à toutes les manifestations, ils devront arrêter
les fans du Canadien lorsqu’ils célèbrent une victoire de leur équipe chérie
et, advenant une victoire de votre parti aux prochaines élections, vos
partisans qui voudraient manifester spontanément leur joie n’en auraient pas le
droit. À moins qu’ils ne soient
que 49… À moins que les policiers n’appliquent la loi que pour les étudiants.
On assisterait alors à une discrimination immonde.
Même vos alliés, des gens qui ont pourtant pris
position pour la hausse, vous désavouent. Laurent Proulx, porte-parole des
carrés verts, a lancé un salutaire appel au dialogue jeudi dernier, avant que
la loi ne soit adoptée et le président de la chambre de commerce de Gatineau a
envoyé une lettre au service de police dans laquelle il tourne en dérision
l’absurdité de vos mesures. Je crois que même vos partisans ont compris que le
débat dépassait maintenant l’enjeu des frais de scolarité; ils voient bien que
des libertés individuelles sont maintenant en danger.
Une loi qui
exacerbe les tensions
Loi permettant
aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de
niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, c’est ainsi que vous osez intituler votre projet de
loi 78. Il faudrait plutôt l’intituler ainsi : Loi obligeant les étudiants à étudier et les professeurs à enseigner
sous la menace de la matraque.
Depuis le début, vous avez eu comme position de ne
jamais donner aucune légitimité à la grève étudiante. Vous préférez parler de
boycott, le mot est habilement choisi : il s’intègre parfaitement à votre
logique individualiste. Vous considérez le gréviste comme un individu atomisé qui
décide de boycotter son éducation, ravalée au rang de vulgaire marchandise;
vous niez le caractère collectif du mouvement étudiant. Sachez que, dans le
courriel qu’elle nous envoie à tous les matins pour nous avertir de la levée
des cours, la direction du collège où j’enseigne, le Collège de
Bois-de-Boulogne, parle de grève, et qu’elle reconnaît une légitimité à ce
mouvement puisqu’elle a décide de lever les cours si elle constate une ligne de
piquetage devant l’institution. À l’heure actuelle, cette mesure est toujours
en place, sauf pour les quelques étudiants demandeurs d’injonction. Nos
étudiants votent à chaque semaine et, à chaque semaine, une majorité claire
(environ 60% des étudiants présents à l’assemblée) votent pour la reconduction
de la grève. Votre projet de loi empêche carrément les étudiants de faire la
grève; à leur prochaine assemblée, vous ne leur laissez qu’un choix :
revenir en classe maintenant ou revenir en classe en août. Vous ne leur
permettez plus de se poser de questions sur les droits de scolarité et sur
l’accessibilité aux études; vous tentez de déterminer l’agenda de leurs
assemblées générales.
Vous faites pire encore. Vous laissez un pouvoir
discrétionnaire abusif aux policiers pour qu’ils puissent sanctionner les
manifestants et les organisateurs de manifestations et, lors de manifestations,
vous demandez aux associations étudiantes, et ce, même si elles ne sont pas les
organisatrices principales d’une manifestation, de surveiller leurs membres
pour qu’ils ne dévient pas d’un iota par rapport aux règles absurdes que vous
leur avez imposées. Vous demandez aussi aux étudiants de dénoncer ceux de leurs
confrères qui ne respectent pas la loi et qui établissent des lignes de
piquetage devant les établissements scolaires. Vous nous imposez, à nous aussi professeurs, non
seulement de ne plus reconnaître les votes de grève des assemblées étudiantes,
mais encore de dénoncer ceux de nos étudiants qui refuseraient de soumettre à
votre projet de loi. Monsieur Charest, n’avez-vous pas honte de dresser les
étudiants contre les étudiants et les professeurs contre les étudiants ?
N’avez-vous pas honte d’exacerber les tensions ? Comment voulez-vous que l’on
enseigne dans ce climat pourri ?
Monsieur Charest, vous êtes responsable de la
dégradation de nos institutions démocratiques. Vous avez sali deux institutions
assurant l’exercice de la justice dans notre société : la police et les
tribunaux. Aux yeux des étudiants, elles ne sont malheureusement plus que la
passive courroie de transmission de vos désirs. Comme beaucoup de professeurs,
je veux moi-même suivre la règle de droit, je veux suivre les lois qui émanent
de l’Assemblée nationale, mais cette loi est si abjecte - je sais par exemple
qu’elle sera peut-être rendue inconstitutionnelle par le plus haut tribunal du
pays - que, comme beaucoup de professeurs, je suis un être écartelé entre sa
conscience morale et la règle de droit. On ne peut pas demander à un être
écartelé d’enseigner; ce climat est intenable. Abrogez cette loi pendant qu’il
est encore temps, c’est la seule chose que vous puissiez faire pour regagner un
peu de respect aux yeux des professeurs et des étudiants.
Vous démontrez que Jean Charest n'écoute pas les gens comme vous, puis vous lui lancez des accusations et un ultimatum. À quoi vous attendez-vous comme résultat concret?
RépondreSupprimerBonne question. Il est vrai que Jean Charest n'a pas écouté des gens comme moi... Mais il n'est jamais trop tard pour entendre raison. Il faut continuer à écrire pour dénoncer cette loi et à manifester. Et puis mon article s'adresse certes à Jean Charest, mais je veux aussi montrer au public en général que la situation est extrêmement tendue (et invivable) pour les profs et les étudiants en raison de cette loi spéciale. Comment enseigner, comment apprendre sous cette tension? Comme résultat concret... Je ne m'attends pas à des miracles, mais au moins, peut-être, que la police fasse preuve de jugement et qu'elle tolère les manifestations pacifiques. Je m'attends aussi à ce que le gouvernement amorce une autre séance de négociation et qu'il arrête de jeter de l'huile sur le feu. Bien à vous.
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