Nicolas Bourdon
La casserole est éminemment chaleureuse; elle est
indissolublement liée à la famille et au foyer. Lorsqu’on y songe, on imagine
une grosse cuisinière affairée à
ses fourneaux et préparant un repas pour une large tablée et, par sa rondeur,
elle rappelle les courbes maternelles de la femme enceinte. La casserole est
cousine de la poêle et sœur du chaudron, et tous trois sont enfants du graal,
ce récipient cylindrique légendaire qu’on retrouve dans l’épique Perceval de Chrétien de Troyes. Le graal
est lui-même le digne descendant de la corne d’abondance des Grecs qui trouve
son origine dans la corne de la noble chèvre Amalthée qui a nourri Zeus lorsque
le roi des dieux n’était encore qu’un poupon. Elle est aussi l’un des attributs
de la déesse Gaia, la mère de tous les dieux. On le constate : non
seulement la casserole provient d’une digne lignée, mais elle est profondément
ancrée dans la maternité et la fécondité.
On la retrouve bien sûr chez Rabelais, grand humaniste,
grand mangeur, grand buveur et, surtout, en ce qui nous concerne, esprit animé
par la recherche de la paix comme en fait foi le célèbre épisode de la guerre
Picrocholine dans lequel ce grand maître du rire contraste l’attitude modérée
et sage de Grandgousier au tempérament belliqueux de Picrochole. Dans le Quart Livre, toute la famille de la
casserole est présente lorsque Bringuenarilles qui, faute de moulins à vent à
se mettre sous la dent, a dévoré tous les « poêles, poêlons, chaudrons,
coquasses, lèchefrites et marmites » de l’île de Tohu Bohu. L’estomac fragile
du géant, plus habitué aux moulins à vent qu’à une batterie de cuisine, est
incapable de digérer les casseroles et Bringuenarilles agonise. Plusieurs commentateurs ont voulu
voir dans le personnage de Bringuenarilles une allusion à l’empereur Charles
Quint qui avait envahi la France en 1544 et 1552. Loin de moi l’idée de
rapprocher la mort de deux hommes puissants, la mort de Bringuenarilles à celle
toute symbolique de Jean Charest, dont on sent la fin du règne, mais l’envie de
dire que notre premier ministre souffre présentement d’une indigestion de
casseroles est tout de même tentante.
D’ailleurs, l’expression « passer à la casserole »,
qui signifie « subir une épreuve difficile » peu connue au Québec, va peut-être
gagner en popularité grâce au mouvement étudiant : « Charest a passé à la
casserole » serait, ma foi, une assez bonne formule. Et que dites-vous de ce
slogan : « En 1815, Napoléon a rencontré son Waterloo; en 2012, Charest a
connu sa casserole. » Un peu trop guerrier ?
Peut-être, car la casserole est fille de la paix. On
la rencontre bien entendu dans les recettes du grand gastronome Brillat-Savarin
qui fit paraître sa Physiologie du goût en
1825. Député à l’Assemblée constituante, il connut la Révolution française et
manifesta sa modération lorsqu’il s’opposa à l’introduction de la Terreur dans
la ville de Belley dont il était maire. Dans le conflit actuel, on a vu
plusieurs choses surprenantes, certaines heureuses, d’autres moins; je suggère
donc une solution pour calmer les tensions entre ceux des manifestants et des
policiers qui usent et abusent de la violence : le partage d’un festin.
Pour oublier grandes blessures, quoi de mieux qu’un plat de pâtes cuisinées
dans une immense casserole ? Peut-être, entre autres choses, les convives réaliseraient-ils qu’ils ne sont que les
marionnettes d’une mauvaise pièce de théâtre orchestrée par un gouvernement qui
a choisi d’exacerber des tensions déjà vives ? Dans tous les cas, Brillat-Savarin
aurait sans doute insisté pour que le repas comporte plusieurs services afin
que les convives prennent le temps de se parler. Dans sa Physiologie, on retrouve d’ailleurs la remarque suivante : « Au premier service […] chacun mange évidemment
sans parler, sans faire attention à ce qui peut être dit ; et, quel que soit le
rang qu'on occupe dans la société, on oublie tout pour n'être qu'un ouvrier de
la grande manufacture. Mais quand le besoin commence à être satisfait, la
réflexion naît, la conversation s'engage, un autre ordre de choses commence ;
et celui qui, jusque là, n'était que consommateur, devient convive. » Et que
dites-vous de cette célèbre remarque : « Les animaux se repaissent ;
l’homme mange. L’homme d’esprit seul sait manger. » ? Brillat-Savarin a
réussi à conférer une spiritualité à l’activité de se nourrir, activité
pourtant éminemment ancrée dans l’animalité ; saurons-nous à notre tour
sortir de l’impasse actuelle sans user de la violence, qui est un manque de
vocabulaire selon l’un de nos plus célèbres bardes ?
Pour canaliser cette violence, la casserole agit comme un heureux
exutoire. Elle a le dos large, elle peut se sacrifier pour une bonne cause et
elle ne craint pas de recevoir des coups et d’être cabossée. Grâce à elle, la
colère demeure dans les limites des mots et du symbolique : « Charest tu
es la casserole, nous sommes la cuillère », disait l’un des slogans observés
hier soir dans l’un de ces grands tintamarres qui électrisent présentement
Montréal. La casserole est le triomphe de la manifestation contre le
renoncement et du rire contre la peur que le gouvernement a voulu imposer
avec sa loi spéciale ; la casserole est sans doute, à ce jour, le plus
brillant porte-parole du peuple qui veut être entendu sans tomber dans les
excès.
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