vendredi 10 août 2012

Réflexions autour d'une souhaitable rentrée

Félix-Olivier Riendeau

Depuis quelques jours, plusieurs associations étudiantes sont passées au vote afin de déterminer si elles allaient poursuivre leur grève. Les étudiants en service social de l'Université de Montréal ont ainsi décidé de la continuer (malgré le taux de participation anémique de 9,6%), tout comme les étudiants en sciences humaines de l'UQAM. De leur côté, les étudiants des cégeps de St-Jérôme et Valleyfield ont choisi d'y mettre fin. Dans le cas du Collège de Valleyfield, le taux de participation a été nettement plus élevé, à 61,4%.

Les étudiants du collège où j'enseigne (Maisonneuve) sont quant à eux invités à se prononcer lundi le 13 août. Je crois qu'ils devraient s'inspirer des deux derniers cas, plutôt que des deux premiers.

Une grève importante

Bien sûr, je peux comprendre la tentation de plusieurs de ne pas vouloir mettre un fin à la plus longue grève de l'histoire du mouvement étudiant. 

Celle-ci a su démontrer la force de mobilisation incroyable d'une grande partie de notre jeunesse et briser le mythe d'une génération apathique, désengagée et centrée sur elle-même.  Le mouvement étudiant a habilement su exploiter la grogne générale qui règne à l'heure actuelle à l'endroit du gouvernement libéral (corruption, gaz de Schiste...) et attirer à lui d'autres citoyens. Des liens ont aussi été tissés avec des mouvements aux objectifs similaires ailleurs dans le monde, que ce soit au Chili ou aux États-Unis.

La grève nous a permis de découvrir des leaders étudiants dotés de talents de vulgarisation hors pair. Sans l'ombre d'un doute, les Nadeau-Dubois, Desjardins, Reynolds et Bureau-Blouin s'expriment mieux devant une caméra qu'une grande partie de nos leaders politiques actuels. 

Elle a aussi contribué à ramener au devant de la scène un débat de première importance: celui de l'accessibilité aux études supérieures. Jamais autant de familles au Québec auront discuté de la gestion des universités, du niveau d'endettement des étudiants, des frais de scolarité ailleurs dans le monde, de la valeur d'un diplôme, etc. Des débats parfois difficiles et houleux, mais qui ont eu le mérite de faire évoluer notre réflexion collective sur cet enjeu. En bref, la grève fut une véritable démarche d'éducation citoyenne.

Sur le plan strict des négociations avec le gouvernement, la grève a jusqu'ici permis de faire quelques gains (comité sur la gestion des universités et diminution des frais afférents, remboursement proportionnel au revenu, rehaussement du seuil  de revenu familial pour obtenir une bourse...), même si ceux-ci sont, compte tenu de l'ampleur du mouvement, décevants. Ils ne sont toutefois pas inexistants.

La lutte par d'autres moyens

Mettre fin à cette grève historique est donc un choix difficile et déchirant pour plusieurs étudiants. D'autant plus que la loi 12 (projet de loi 78) est à ce point provocante et inique, qu'il serait tentant d'en faire le principal prétexte pour poursuivre la grève.

Sauf que. Sauf que depuis quelques jours, le Québec est plongé en élection. Dans ce contexte, poursuivre la grève est une entreprise risquée, car comme plusieurs, je crois que cela aura pour effet d'aider le gouvernement libéral à se faire réélire. Le thème de la loi et l'ordre est la plupart du temps "vendeur' pour un gouvernement, le plus célèbre exemple d'une campagne victorieuse sur un tel sujet étant celui du président français Charles de Gaulle, à la suite de la crise de mai 1968.

On rétorquera à cet argument que les libéraux n'hésiteront pas à instrumentaliser un retour en classe des étudiants, se félicitant d'être parvenu à mettre fin à la crise. Il est évident que, d'un côté comme de l'autre, les libéraux tenteront de récupérer le conflit à des fins partisanes.

Concrètement, je ne vois toutefois pas ce que la poursuite de la grève dans les prochaines semaines pourrait apporter de plus au mouvement étudiant, à moins que certains militants cherchent délibérément à provoquer une situation de crise encore plus chaotique pour ainsi conforter une rhétorique anti-capitaliste souvent démagogique.

En reprenant les cours, personne ne prétend que les étudiants doivent cesser leur combat. En ce sens, l'idée d'une trêve de la grève jusqu'à la mi-septembre (le temps que les élections et la session d'hiver soient terminées) m'apparaît l'avenue la plus sage. Dans l'éventualité de l'élection du Parti québécois, une pression serait toujours exercée à son endroit afin qu'il remplisse sa promesse d'abroger la loi 12 (78) et qu'il propose une entente plus généreuse aux étudiants. Si les libéraux de  Jean Charest sont réélus, les étudiants pourront alors décider de reprendre leur grève, même s'il deviendra beaucoup plus difficile de la justifier.

D'ici-là, je crois qu'il est nécessaire que les jeunes investissent le jeu électoral "classique" et participent davantage aux élections. Les études récentes démontrent que leur taux de participation est encore plus bas que ce l'on croyait jusqu'ici et compte tenu de leur importante capacité de mobilisation, on se désole de voir qu'ils n'y consacrent pas davantage d'efforts. Mon collègue Nicolas Bourdon partage cette désolation et explique d'ailleurs pourquoi sur ce blog. La FEUQ et la FECQ ont déjà annoncé qu'ils travailleront à "faire sortir" le vote des jeunes. Je m'en réjouis.

Quant à la CLASSE, elle refuse l'idée d'une trêve électorale et cela est dommage. Pour elle, les élections semblent être un piège à cons dont il faut se méfier.

Un des arguments invoqués est que notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour ne permet pas de rotation des partis et qu'il est dès lors futile de participer aux élections. Il s'agit d'un jugement hâtif. Comment alors expliquer la récente 'vague orange" et la montée du NPD au niveau fédéral? Comment expliquer le fait qu'un nouveau parti provincial, la CAQ, ait de réelles chances d'accéder au pouvoir? Historiquement, comment expliquer la disparition de l'Union nationale et l'apparition d'un nouveau parti provincial dominant - le PQ - en 1976? Bien que je donne peu de chances à Québec Solidaire de susciter une vague de sympathie similaire à celle qu'a reçue le NPD, est-il si farfelu de concevoir une réelle poussée de ce parti à moyen terme? Que je sache, QS propose la gratuité scolaire depuis longtemps, alors pourquoi la CLASSE ne ferait-elle pas tout en son pouvoir afin de favoriser son élection?

Je ne conteste pas le fait qu'il est urgent de réformer en profondeur notre mode de scrutin, car il favorise indûment les grandes formations. Affirmer qu'il rend impossible toute forme de changement m'apparaît toutefois une erreur.

Le mouvement étudiant contre la hausse des frais a démontré dans les derniers mois qu'il savait faire preuve d'imagination dans ses interventions.

Pourquoi ne pourrait-il pas faire le choix de suspendre la grève et, en parallèle, continuer d'organiser toutes sortes d'activités visant à rappeler son indignation face à la loi 12 et son insatisfaction face à la dernière entente de principe qui lui a été soumise? Pourquoi ne contribuerait-il pas à l'élection d'un nouveau parti plus sensible à ses revendications, quitte à réévaluer la situation dans quelques semaines?





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