vendredi 31 août 2012

Français: langue commune


Nicolas Bourdon

Ça y est, c’est reparti ! Les dignes descendants de Diane Francis et de Mordecai Richler reprennent du galon et y vont de commentaires incendiaires à l’égard du PQ. La semaine dernière, Jonathan Kay du National Post estimait que Madame  Marois était la plus « xénophobe des chefs de partis canadiens » et son collègue Chris Selley considérait qu’il « est évident que le plan de match du PQ est de dénigrer les minorités. » Serait-il pourtant trop demandé à ces virulents dénonciateurs de faire preuve à l’égard de la réalité québécoise d’un peu d’ouverture, eux qui nous en demandent toujours beaucoup ?  

Le français, faut-il le rappeler est mal en point au Québec, et il l’est encore plus à l’échelle du Canada. Guillaume Marois de l’INRS rappelait récemment que la proportion des personnes parlant le français à la maison sur l'île de Montréal est passée de 56% à 54% entre le recensement de 2001 et celui de 2006. Les données du mathématicien et chercheur Charles Castonguay sont encore plus inquiétantes : elles indiquent qu’en 2006 les francophones n’étaient plus que 79,1 % dans l’ensemble du Québec, 65 % dans la région de Montréal et 49 % sûr l’île de Montréal. À l’échelle du Canada, le pourcentage des francophones a chuté de façon drastique : en 1951, le pays comptait 29,1% de francophones et il n’en compte plus que 21,6%. Le PQ et Option nationale proposent d’étendre la loi 101 au cégep ; cette mesure serait la bienvenue, car, comme le rappelle le chroniqueur Michel David et une étude de l'Institut de recherche sur le français en Amérique, la langue parlée au travail, à la maison et dans les commerces est fortement corélée au fait de fréquenter un cégep anglais ou français.

La proposition du PQ est courageuse et souhaitable, mais elle ne semble pas faire consensus bien que le français soit en perte de vitesse au Québec. Les détracteurs de ce projet y voient une attaque aux libertés individuelles - certains vont même à parler de « dictature » et de « fascisme » ! - car, estiment-ils, l’État impose une loi qui va à l’encontre de la liberté de choisir sa langue d’enseignement ; selon eux, l’État ne devrait pas se mêler d’un choix strictement individuel. Cet argument n’est pas convaincant, car le cégep est subventionné à 100% par l’État et il est donc légitime que la collectivité se prononce sur la nature qu’elle veut donner au cégep. Mais les adversaires d’une loi 101 renforcée répliqueront que la vitalité de la langue française au Québec est une responsabilité essentiellement individuelle. Si le français se porte si mal au Québec, c’est que chaque Québécois individuellement est paresseux et n’est pas assez fier de sa langue: il ne prend pas la peine de se corriger lorsqu’il commet une erreur, il manque d’humilité et il est frustré lorsqu’il se fait corriger par un Français de France qui parle mieux la langue de Molière que lui. Une loi contraignante comme la loi 101 n’est donc d’aucune utilité, il faut plutôt atteindre la source du problème : « les mentalités ».

On voit immédiatement l’inanité d’un tel argument (que j’ai notamment entendu dans la bouche de Maxime Bernier); en fait, lorsqu’un politicien souhaite « agir sur les mentalités » tout en n’imposant aucune loi pour que ces mentalités changent, vous pouvez être certain que le politicien en question ne souhaite aucun changement véritable : c’est un peu comme un professeur qui recommanderait à ses étudiants de lire un roman de Balzac, mais qui n’évaluerait pas la compréhension de leur lecture ; aucun étudiant ne prendrait la peine de le lire. De plus, c’est oublier que le problème essentiel n’est pas que les Québécois maganent la langue de Molière, mais que des milliers d’entre eux vivant dans la grande région de Montréal utilisent uniquement l’anglais dans leurs communications de tous les jours. N’imposer aucune loi pour assurer la pérennité du français au Québec, c’est aussi tenter de transformer un problème collectif en un problème que chaque individu devrait héroïquement régler par lui-même sans que la collectivité ne vienne supporter ses efforts par une législation conséquente. Et pourtant comme l’observait Hubert Aquin en 1962 dans la « Fatigue culturelle du Canada français » : « Si le défi individuel que chaque Canadien français tente en vain de relever dépend de la position du groupe canadien-français considéré comme totalité, pourquoi faut-il relever ce défi collectif comme s’il était individuel ? »

J’observe aussi que plusieurs des opposants à la loi 101 et à son extension au cégep estiment qu’elles constituent une sorte de « tricherie » avec la nature : il faudrait laisser aux individus le libre choix de la langue d’enseignement et on constaterait ensuite si le français est assez fort pour survivre. Selon cette conception darwinienne de la langue et de la culture, il ne faut surtout pas tenter artificiellement, par une intervention de l’État, de supporter le français si cette langue est incapable de compétitionner avec l’anglais ; cela ne serait pas naturel. Selon cette vision, véhiculée notamment par les membres du Réseau liberté Québec d’Éric Duhaime et de Johanne Marcotte, la culture devrait être considérée comme n’importe quelle marchandise et être soumise aux lois du marché : de l’avis de ces libertariens, une intervention de l’État en culture est toujours considérée comme une excroissance bizarre et artificielle. Mais c’est penser la loi 101 en dehors de la culture alors que cette loi est précisément une émanation de la culture québécoise qui, pour ne pas mourir, a décidé de s’adapter - pour reprendre le vocabulaire darwinien - en protégeant sa langue. Lorsque la loi 101 a été adoptée en 1977, le peuple québécois a décidé que la langue était d’une importance capitale à la vigueur de son épanouissement culturel et que, par conséquent, elle ne saurait être le jouet des désirs individuels.

***

L’anglais, langue de l’ouverture

Il y a quelque chose de surréaliste à entendre les pourfendeurs d’une loi 101 renforcée : on vilipende notre fermeture d’esprit, notre repli identitaire, voire notre racisme. Et pourtant la loi 101, même dans la version renforcée du PQ, permet aux parents de la communauté anglophone de faire éduquer leurs enfants en anglais, et pourtant l’étudiant du système francophone est exposé à des centaines d’heures d’anglais langue seconde lors de son parcours scolaire du primaire au cégep. Le problème est plutôt l’inverse : finalement, bien peu de choses ont changé depuis les années 1960 : nous sommes collectivement obsédés par l’anglais et nous considérons encore cette langue comme étant bien plus essentielle à maîtriser que notre langue maternelle ; après tout, elle est la langue par excellence de l’ouverture à l’autre et la langue des affaires : les employés de la section des technologies de l’information de la Banque nationale, s’ils ne le savaient pas encore, l’ont appris lorsqu’on les a obligés à parler uniquement anglais pour pouvoir communiquer avec leur patron unilingue anglais, on a aussi confirmé aux étudiants des HEC que « les affaires, ça se passe en anglais » lorsque les HEC ont décidé de créer une maîtrise dispensée uniquement dans la langue de Shakespeare.

Nous devons bien avoir l’esprit fermé à toute autre chose que l’anglais pour considérer que cette langue est le seul chemin possible menant à « l’ouverture ». Je crois que les chemins menant à « l’ouverture » sont multiples (je suggère pour ma part la fréquentation des grands romanciers russes) et qu’ils ne passent pas nécessairement par l’anglais. Il n’y a aussi aucune raison pour que l’anglais soit la langue des affaires : le français devrait être parlé à l’intérieur de chaque entreprise québécoise et l’anglais parlé uniquement lorsqu’on doit s’adresser à des partenaires à l’extérieur du Québec.

Ce lundi 27 août 2012, Jean Charest a semblé avoir une illumination et avoir enfin compris que l’état du français dégringolait au Québec : il affirmait qu’il voulait entreprendre des négociations avec Ottawa pour assujettir à la loi 101 les entreprises à charte fédérale, mais, le lendemain, il effectuait une volte-face sidérante en laissant entendre que le Québec avait deux langues officielles alors que le gouvernement libéral de Robert Bourassa a fait du français la seule langue officielle du Québec en 1974 ! Clairement, les libéraux ont complètement abandonné la défense du fait français et ils ont décidé « d’agir sur les mentalités », c’est-à-dire de ne rien faire. Les deux seuls partis qui ont une politique cohérente en matière de défense du français sont Option nationale et le Parti québécois : pour les francophones et les allophones, le français doit devenir la langue d’enseignement du primaire au cégep inclusivement et elle doit être la seule langue parlée au travail. C’est la seule façon de faire du français la véritable langue commune des Québécois ; une langue qui n’est parlée qu’en privé, à la maison, est une langue morte ou agonisante ; c’est ce phénomène qui se produit présentement au Canada hors Québec où, hormis sur les pancartes routières, l’existence publique du français est moribonde. A-t-on vraiment envie que cela se produise ici ?      








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