jeudi 16 août 2012

Élections septembre 2012: le coeur ou la raison?

Félix-Olivier Riendeau

À l'approche du scrutin provincial du 4 septembre 2012 -comme à chaque fois lors d'élections - une discussion s'amorce à savoir s'il faut voter avec le coeur, c'est-à-dire pour le candidat dont les valeurs rejoignent le plus nos préoccupations d'électeur, ou s'il faut voter de manière plus rationnelle et stratégique pour un candidat dont les idées sont plus éloignées de nos convictions, mais dont la victoire contribuerait à déloger un gouvernement qu'on abhorre.

Quelques textes intéressants ont été rédigés sur cette question dernièrement, notamment celui du cinéaste Bernard Émond, dans le journal Le Devoir ou encore la réplique que lui a adressé C.J. Simard.

D'un côté, les défenseurs du vote stratégique soutiennent qu'en ne divisant pas le vote de gauche dans plusieurs circonscriptions, les libéraux de Jean Charest seraient rapidement écartés du pouvoir. À chaque élection, des progressistes appellent à voter pour le "moins pire" des partis social-démocrate, en l'occurrence le PQ, afin de chasser la droite du pouvoir. Ainsi, en 2008, si tous les partisans de Québec solidaire et du Parti vert s'étaient plutôt tournés vers le Parti québécois, jamais le Parti libéral n'aurait formé le gouvernement. Pour les élections de septembre 2012, la situation pourrait se reproduire. Dans plusieurs circonscriptions, la division du vote entre le PQ et QS risque de favoriser les libéraux. C'est le cas par exemple de Laurier-Dorion, où les projections donnent le candidat libéral gagnant, avec 33,3% des intentions de vote, alors que le P.Q. récolte 33,1% et Q.S 14,9%. C'est aussi le cas dans Argenteuil.

De l'autre, on refuse de se ranger à cette logique froide qui s'apparente à une fraude idéologique. N'est-ce pas le PQ qui, depuis 1976, promet qu'il va réformer le mode de scrutin? N'est-ce pas lui qui a régulièrement profité de notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour (en 1998, il forme un gouvernement majoritaire avec 42,9% des voix, alors que les libéraux récoltent 43,6%) et qui n'a pas intérêt à ce que la situation change? Pour plusieurs, le PQ est un parti usé, trop près de l'establishement financier et qui a un a pris un trop grand virage à droite. Dans ce contexte, argue-t-on, pourquoi la gauche aurait-elle intérêt à voter PQ? Pourquoi ne serait-ce pas plutôt les partisans du PQ qui devraient massivement migrer vers QS? Après tout, le NPD a réussi un raz-de-marée plus qu'étonnant sur la scène fédérale lors des élections de mai 2011, alors pourquoi QS ne pourrait-il pas réaliser la même chose?

Un dilemme embêtant


Il n'est pas facile de trancher dans ce débat.  Pour y contribuer, j'aimerais souligner un certain nombre d'idées.

D'abord, lorsque j'analyse le programme du Parti québécois, j'y vois encore de nombreuses propositions de gauche, qu'il s'agisse d'imposer des redevances minières sur la valeur brute des ressources, de geler les tarifs pour les garderies à 7$, d'abolir la hausse des frais de scolarité et la taxe santé annuelle de 200$, de nationaliser l'énergie éolienne ou d'établir un financement presqu'exclusivement public des partis politiques. Par ailleurs, soutenir que les péquistes sont aussi corrompus que les libéraux m'apparaît injuste. Une récente étude du Directeur général des élections démontrait d'ailleurs que les dons au Parti québécois ne variaient pas lorsqu'ils passaient de l'opposition au gouvernement, alors que ceux offerts aux libéraux doublaient. Au risque d'apparaître jovialiste, je crois que les valeurs progressistes pourraient cheminer au sein d'un gouvernement du Parti québécois et qu'il pourrait mettre un frein à la corruption dans l'appareil public.

Ensuite, d'aucuns estiment qu'il est urgent de réformer notre mode de scrutin, car c'est lui qui contribuerait à rendre le vote stratégique incontournable. Cette perception n'est certes pas dénuée de fondement, mais elle est simpliste. C'est ce qu'expliquait dernièrement André Blais, un expert des systèmes électoraux de l'Université de Montréal. Dans un système à deux tours par exemple, certains électeurs sont parfois tentés de voter pour un parti marginal au premier tour (afin de l'encourager), convaincu que leur parti préféré passera de toute manière au second tour. C'est peut-être ce qui explique le fait que lors des élections présidentielles françaises de 2002, Lionel Jospin et les socialistes n'avaient pas atteint - contre toute attente - le deuxième tour pour y affronter Jacques Chirac.

La multiplication des partis politiques est aussi problématique (vingt sont autorisés actuellement au Québec!). Non seulement cela contribue à la fragmentation du vote au profit des grands partis, mais cela est aussi révélateur d'une attitude paradoxale par rapport au jeu politique. Puisqu'on ne se reconnaît plus dans les grandes organisations et qu'il faudrait idéalement voter avec son coeur, la tentation de fonder son parti à la manière d'un forfait à la carte est grande. Ici je me propose de citer une belle réflexion de Bernard Émond:

" Il est paradoxal que des gens qui disent défendre le bien commun mettent au-dessus de tout l’expression individuelle de leurs préférences. Le vote n’est pas un mode d’expression personnelle, c’est un geste politique qui ne peut avoir que des résultats limités. Limités, mais non sans conséquences."

Voter avec son coeur peut donc à prime abord apparaître comme vertueux, alors qu'au fond, cela témoigne d'un refus de l'inévitable imperfection politique, voire d'une certaine forme d'individualisme.

J'invite donc mes concitoyens à considérer le vote stratégique dans certaines circonscriptions très serrées, de façon à s'assurer que les libéraux soient chassés du pouvoir.

Après les élections, il faudra inlassablement continuer de revendiquer une réforme du mode de scrutin (les sytèmes mixtes ou les votes préférentiels sont les avenues les plus prometteuses), plutôt que de mettre ses énergies à fonder de nouveaux partis.  Il faudra aussi rappeler au Parti québécois - s'il est élu - sa promesse d'instaurer des élections à date fixe (qui est loin d'être suffisante, mais c'est un début) et mettre de la pression sur le député de Marie-Victorin Bernard Drainville, afin qu'il mette en place la réforme ambitieuse des institutions démocratiques qu'il proposait l'année dernière.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'est même pas certain que la population québécoise serait intéressée par une réforme du mode de scrutin. Dernièrement, les citoyens de la Colombie-Britannique et de l'Ontario ont refusé d'adopter un mode de scrutin proportionnel, par la voie d'un référendum. Il y a donc aussi un travail de sensiblisation de l'opinion publique à faire par rapport à cet enjeu

Enfin, peut-être faudrait-il qu'il y ait davantage d'ententes électorales entre les partis progressistes, à la manière de celle qui a eu lieu entre Québec solidaire et Option nationale, dans les circonscriptions de Gouin et Nicolet Bécancour.  À cet égard, on se désole de voir que le Parti québécois et Québec solidaire ne soient pas parvenus à faire la même chose.

Bonne réflexion et surtout, bon vote!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire