Nicolas
Bourdon
Ça y est, c’est reparti ! Les
dignes descendants de Diane Francis et de Mordecai Richler reprennent du galon
et y vont de commentaires incendiaires à l’égard du PQ. La semaine dernière,
Jonathan Kay du National Post estimait
que Madame Marois était la plus «
xénophobe des chefs de partis canadiens » et son collègue Chris Selley considérait
qu’il « est évident que le plan de match du PQ est de dénigrer les minorités. »
Serait-il pourtant trop demandé à ces virulents dénonciateurs de faire preuve à
l’égard de la réalité québécoise d’un peu d’ouverture, eux qui nous en
demandent toujours beaucoup ?
Le français, faut-il le
rappeler est mal en point au Québec, et il l’est encore plus à l’échelle du
Canada. Guillaume Marois de l’INRS rappelait récemment que la proportion des personnes parlant le français à la maison sur l'île de
Montréal est passée de 56% à 54% entre le recensement de 2001 et celui de 2006.
Les données du mathématicien et chercheur Charles Castonguay sont encore plus inquiétantes : elles indiquent qu’en 2006 les
francophones n’étaient plus que 79,1 % dans l’ensemble du Québec,
65 % dans la région de Montréal et 49 % sûr l’île de Montréal. À
l’échelle du Canada, le pourcentage des francophones a chuté de façon
drastique : en 1951, le pays comptait 29,1% de francophones et il n’en
compte plus que 21,6%. Le PQ et Option nationale proposent d’étendre la loi 101
au cégep ; cette mesure serait la bienvenue, car, comme le rappelle le chroniqueur Michel David et une étude de l'Institut de recherche sur le français en Amérique,
la langue parlée au travail, à la maison et dans les commerces est fortement
corélée au fait de fréquenter un cégep anglais ou français.
La proposition du PQ est courageuse et souhaitable,
mais elle ne semble pas faire consensus bien que le français soit en perte de
vitesse au Québec. Les détracteurs de ce projet y voient une attaque aux
libertés individuelles - certains vont même à parler de « dictature » et de «
fascisme » ! - car, estiment-ils, l’État impose une loi qui va à l’encontre
de la liberté de choisir sa langue d’enseignement ; selon eux, l’État ne devrait
pas se mêler d’un choix strictement individuel. Cet argument n’est pas
convaincant, car le cégep est subventionné à 100% par l’État et il est donc
légitime que la collectivité se prononce sur la nature qu’elle veut donner au cégep.
Mais les adversaires d’une loi 101 renforcée répliqueront que la vitalité de la
langue française au Québec est une responsabilité essentiellement individuelle.
Si le français se
porte si mal au Québec, c’est que chaque Québécois individuellement est paresseux et n’est pas assez fier de sa
langue: il ne prend pas la peine de se corriger lorsqu’il commet une erreur, il
manque d’humilité et il est frustré lorsqu’il se fait corriger par un Français
de France qui parle mieux la langue de Molière que lui. Une loi contraignante
comme la loi 101 n’est donc d’aucune utilité, il faut plutôt atteindre la
source du problème : « les mentalités ».
On voit immédiatement l’inanité
d’un tel argument (que j’ai notamment entendu dans la bouche de Maxime
Bernier); en fait, lorsqu’un politicien souhaite « agir sur les mentalités »
tout en n’imposant aucune loi pour que ces mentalités changent, vous pouvez
être certain que le politicien en question ne souhaite aucun changement
véritable : c’est un peu comme un professeur qui recommanderait à ses
étudiants de lire un roman de Balzac, mais qui n’évaluerait pas la
compréhension de leur lecture ; aucun étudiant ne prendrait la peine de le
lire. De plus, c’est oublier que le problème essentiel n’est pas que les
Québécois maganent la langue de Molière, mais que des milliers d’entre eux
vivant dans la grande région de Montréal utilisent uniquement l’anglais dans
leurs communications de tous les jours. N’imposer aucune loi pour assurer la
pérennité du français au Québec, c’est aussi tenter de transformer un problème
collectif en un problème que chaque individu devrait héroïquement régler par
lui-même sans que la collectivité ne vienne supporter ses efforts par une
législation conséquente. Et pourtant comme l’observait Hubert Aquin en 1962
dans la « Fatigue culturelle du Canada français » : « Si le défi
individuel que chaque Canadien français tente en vain de relever dépend de la
position du groupe canadien-français considéré comme totalité, pourquoi faut-il
relever ce défi collectif comme s’il était individuel ? »
J’observe aussi que plusieurs des opposants à la loi
101 et à son extension au cégep estiment qu’elles constituent une sorte de «
tricherie » avec la nature : il faudrait laisser aux individus le libre
choix de la langue d’enseignement et on constaterait ensuite si le
français est assez fort pour survivre. Selon cette conception darwinienne de la
langue et de la culture, il ne faut surtout pas tenter artificiellement, par
une intervention de l’État, de supporter le français si cette langue est incapable
de compétitionner avec l’anglais ; cela ne serait pas naturel. Selon cette vision, véhiculée notamment par les membres du
Réseau liberté Québec d’Éric Duhaime et de Johanne Marcotte, la culture devrait
être considérée comme n’importe quelle marchandise et être soumise aux lois du
marché : de l’avis de ces libertariens, une intervention de l’État en
culture est toujours considérée comme une excroissance bizarre et artificielle.
Mais c’est penser la loi 101 en dehors de la culture alors que cette loi est précisément
une émanation de la culture québécoise qui, pour ne pas mourir, a décidé de
s’adapter - pour reprendre le vocabulaire darwinien - en protégeant sa
langue. Lorsque la loi 101 a été adoptée en 1977, le peuple québécois a décidé
que la langue était d’une importance capitale à la vigueur de son
épanouissement culturel et que, par conséquent, elle ne saurait être le jouet
des désirs individuels.
***
L’anglais,
langue de l’ouverture
Il y a quelque chose de surréaliste à entendre les pourfendeurs
d’une loi 101 renforcée : on vilipende notre fermeture d’esprit, notre
repli identitaire, voire notre racisme. Et pourtant la loi 101, même dans la
version renforcée du PQ, permet aux parents de la communauté anglophone de
faire éduquer leurs enfants en anglais, et pourtant l’étudiant du système
francophone est exposé à des centaines d’heures d’anglais langue seconde lors
de son parcours scolaire du primaire au cégep. Le problème est plutôt l’inverse :
finalement, bien peu de choses ont changé depuis les années 1960 : nous
sommes collectivement obsédés par l’anglais et nous considérons encore cette
langue comme étant bien plus essentielle à maîtriser que notre langue
maternelle ; après tout, elle est la langue par excellence de l’ouverture
à l’autre et la langue des affaires : les employés de la section des
technologies de l’information de la Banque nationale, s’ils ne le savaient pas
encore, l’ont appris lorsqu’on les a obligés à parler uniquement anglais pour pouvoir
communiquer avec leur patron unilingue anglais, on a aussi confirmé aux
étudiants des HEC que « les affaires, ça se passe en anglais » lorsque les HEC
ont décidé de créer une maîtrise dispensée uniquement dans la langue de
Shakespeare.
Nous devons bien avoir l’esprit fermé à toute autre chose
que l’anglais pour considérer que cette langue est le seul chemin possible
menant à « l’ouverture ». Je crois que les chemins menant à « l’ouverture »
sont multiples (je suggère pour ma part la fréquentation des grands romanciers
russes) et qu’ils ne passent pas nécessairement par l’anglais. Il n’y a aussi
aucune raison pour que l’anglais soit la langue des affaires : le français
devrait être parlé à l’intérieur de chaque entreprise québécoise et l’anglais
parlé uniquement lorsqu’on doit s’adresser à des partenaires à l’extérieur du
Québec.
Ce lundi 27 août 2012, Jean Charest a semblé avoir une
illumination et avoir enfin compris que l’état du français dégringolait au
Québec : il affirmait qu’il voulait entreprendre des négociations avec
Ottawa pour assujettir à la loi 101 les entreprises à charte fédérale, mais, le
lendemain, il effectuait une volte-face sidérante en laissant entendre que le
Québec avait deux langues officielles alors que le gouvernement libéral de
Robert Bourassa a fait du français la seule langue officielle du Québec en 1974 !
Clairement, les libéraux ont complètement abandonné la défense du fait
français et ils ont décidé « d’agir sur les mentalités », c’est-à-dire de
ne rien faire. Les deux seuls partis qui ont une politique cohérente en matière
de défense du français sont Option nationale et le Parti québécois : pour
les francophones et les allophones, le français doit devenir la langue
d’enseignement du primaire au cégep inclusivement et elle doit être la seule
langue parlée au travail. C’est la seule façon de faire du français la
véritable langue commune des Québécois ; une langue qui n’est parlée qu’en
privé, à la maison, est une langue morte ou agonisante ; c’est ce
phénomène qui se produit présentement au Canada hors Québec où, hormis sur les
pancartes routières, l’existence publique du français est moribonde. A-t-on
vraiment envie que cela se produise ici ?