vendredi 10 février 2012

Ouvertures birmanes

Je m'intéresse d'un peu plus près à la situation politique de la Birmanie depuis la lecture des formidables Chroniques Birmanes (2007), du bédéiste Guy Delisle. L'auteur y fait état de ses observations sur la situation quotidienne des Birmans, au cours d'une visite effectuée en compagnie de sa femme qui travaille pour l'organisme Médecins Sans Frontières. On y découvre un régime militaire très fermé, autoritaire et propagandiste.

La situation politique birmane

La Birmanie est une ancienne colonie britannique qui accède à l'indépendance en 1948. Il s'agit d'une fédération de 7 États peuplés de Birmans au sud, mais de non-Birmans au Nord (les Karens, les Kachins, les Shans...). Le régime est une dictature militaire socialiste depuis 1962, donc un système très centralisateur. Il y a eu un autre coup d'État militaire en 1988.

Les dirigeants maintiennent une grande partie de leur emprise sur le pouvoir grâce au commerce de l'héroïne. La Birmanie fournit en effet la moitié de la production mondiale de cette drogue. Toute forme de dissidence y est interdite et les médias sont muselés. Partout, le régime placarde des affiches de propagande rappelant au peuple ses "désirs". L'un d'eux consistent à "s'opposer à ceux qui utilisent des éléments extérieurs pour propager des idées négatives". En 1990, le régime organise des élections, mais se fait surprendre par les résultats (80 % des votes) obtenus par le principal parti d'opposition, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), dirigé par Aung San Suu Kyi. On invalide alors simplement les résultats et Aung San Suu Kyi est assignée à résidence et ne peut plus sortir de chez elle. Elle n'a été libérée que dernièrement, en novembre 2011.

Le parcours de cette femme est exceptionnel. D'une part, elle jouit d'un prestige particulier, car elle est la fille de Aung San, l'un des héros de la lutte pour l'indépendance du pays en 1948. D'autre part, elle ne cesse de réclamer la démocratisation de son pays, au prix de nombreuses souffrances, notamment des grèves de la faim. Alors que le régime lui a parfois offert des libérations partielles, elle refuse de s'en servir pour quitter le pays, de crainte de ne plus jamais pouvoir y revenir. Elle ne se rend donc pas au chevet de son mari qui est hospitalisé à Londres pour un cancer de la prostate. Elle refuse aussi de recevoir le prix Nobel de la paix qui lui est décerné en 1991.

L'ouverture progressive

Depuis quelques semaines, les nouvelles en provenance de la Birmanie sont plutôt bonnes. La junte militaire a officiellement été dissoute et les pouvoirs transférés à un gouvernement civil. Des milliers de prisonniers politiques ont été libérés, une loi sur la liberté de protester a été adoptée, la censure sur les médias s'est relâchée et une commission nationale des droits de l'homme a été mise sur pied. Aung San Suu Kyi se prépare même à se présenter aux prochaines élections qui auront lieu en avril 2012.

Il ne faut pas être dupe. Si le régime multiplie les ouvertures, c'est beaucoup moins par "grandeur d'âme" que par nécessité de normaliser ses relations commerciales. Il est évident que les sanctions économiques imposées par l'Europe et les États-Unis ont fait mal au régime et qu'il souhaite les voir disparaître. Déjà, les sanctions ont commencé à être allégées et les États-Unis évoquent même la possibilité de déléguer un ambassadeur au pays, après 20 ans d'absence. Le régime souhaite aussi obtenir de l'aide financière de l'ASEAN (Association des nations du sud-est asiatique).

Enfin, rappelons que le régime militaire a déjà procédé à ce genre d'ouvertures dans le passé, afin de légitimer son pouvoir, mais pour mieux resserrer son emprise par la suite. Pour le moment, les militaires ont simplement rangé leurs habits au placard, pour les remplacer par des tenues traditionnelles.

Bref, une ouverture aux conséquences réelles, certes, mais la prudence doit être de mise.


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