Des milliers d'étudiants manifestaient hier dans les rues de Montréal pour protester contre la hausse des frais de scolarité à l'université. Environ 60 000 étudiants de cégeps et d'universités sont actuellement en grève et ce nombre risque d'augmenter dans les prochains jours, car d'autres votes sont prévus.
Rappelons que les frais augmenteront de 1625$ sur cinq ans (325$ par année), c'est-à-dire une hausse d'à peu près 75%. Actuellement fixés à un peu plus de 2 200$, ils s'établiront donc à environ 3 900$ annuellement en 2017.
Pourquoi appuyer la grève?
Les raisons pour appuyer cette grève sont multiples. D'abord, il est rare de voir des groupes se mobiliser en si grand nombre pour défendre une cause commune. Ne serait-ce que pour cette raison, ce mouvement devrait attirer notre sympathie.
Plus spécifiquement, si les jeunes souhaitent établir un rapport de force avec le gouvernement Charest, ils n'ont pas réellement le choix de procéder par ce type de moyen de pression, car leur poids démographique et politique est faible. La grève a le mérite d'accroître temporairement leur influence, notamment grâce aux nombreuses tribunes que leur offre les médias durant cette période.
Par ailleurs, le gouvernement Charest a souvent reculé dans le passé dans des dossiers où l'opinion publique se retournait contre lui, qu'il s'agisse du dossier du Suroît, du Mont-Orford ou de la commission d'enquête sur la construction.
Rappelons aussi qu'en 2005, alors que le gouvernement Charest avait annoncé la conversion de 103 millions$ de bourses en prêts, les étudiants étaient aussi descendus avec succès dans la rue. En fait, si l'on se penche sur l'histoire du mouvement étudiant au Québec de 1968 à aujourd'hui, on se rend compte que les grèves générales ont été des méthodes efficaces. Lisez par exemple cet excellent texte d'un collègue au Collège de Maisonneuve à ce propos.
Le gouvernement Charest est présentement en situation de faiblesse (sa cote de popularité dans les sondages est catastrophique) et il est de bonne guerre que les étudiants profitent de ce momentum favorable.
Les manifestations ne servent à rien? Mon oeil!
La hausse n'est pas catastrophique, convenons-en d'emblée. À 3900$ par année, les frais de scolarité au Québec seront encore parmi les plus bas au Canada (c'est à Terre-Neuve que les frais sont les moins élevés). Il est aussi vrai que le programme d'aide financière sera bonifié, permettant encore aux plus défavorisés d'accéder à des études universitaires.
Je ne suis pas en faveur de la gratuité et je crois qu'il n'est pas illégitime de réclamer que les étudiants participent financièrement à la poursuite de leurs études. Ces derniers ont de toute manière déjà accès - fort heureusement - à des études de cycle supérieure gratuites, à travers le cégep. Qu'on le veuille ou non, payer pour ses études supérieures, c'est se responsabiliser davantage et reconnaître que les universités, comme la plupart de nos institutions publiques, ont un besoin criant de financement et que tous doivent y participer. À cet égard, une augmentation modeste (de 100$ par année par exemple) pourrait être raisonnable.
Ce qui l'est moins, c'est d'augmenter de manière aussi brutale les frais, en prétextant qu'il est anormal que ces derniers soient encore aussi bas. Il faudrait, selon cet argument, suivre la tendance nord-américaine de frais de scolarité plus élevés. Ce que les défenseurs de cet argument ont tendance à oublier, c'est qu'il existe de nombreux endroits dans le monde où les frais sont moins élevés (Finlande, Norvège, France, Danemark...) et je ne vois pas pourquoi ces États n'agiraient pas plutôt à titre de modèle. On a aussi tendance à oublier que dans les endroits où les augmentations des frais sont importantes, les oppositions sont féroces et peuvent susciter de nombreuses tensions sociales, la situation actuelle en Angleterre étant éloquente à cet égard, là où les frais d'inscription à l'université viennent d'être triplés.
Il est frustrant pour les étudiants de voir que l'on exige davantage de leur portefeuille, alors que la gestion des ressources financières allouées aux universités a été si déficiente dans les dernières années. Les exemples de mauvaise gestion sont légions: dérapage immobilier (l'îlot Voyageur est le plus triste exemple), augmentation pharaonique des salaires des hauts-cadres, détournement du financement vers la recherche, etc. Il est aussi frustrant de voir le gouvernement Charest se priver de revenus importants dans d'autres dossiers (pensons aux gaz de schiste), qu'il pourrait consacrer à d'autres secteurs. AJOUT (En 2008-2009, le gouvernement du Québec a donné 3,3 milliards$ par année en subventions et crédits d'impôts aux entreprises; 1,8 milliards$ de plus qu'en Ontario)
Enfin, comment ne pas s'inquiéter du fardeau additionnel d'endettement que cette hausse de frais va imposer à la classe moyenne, pour l'essentiel? Partout dans le monde - le Canada et le Québec ne font pas exception - l'endettement des ménages atteint des proportions inquiétantes, faisant planer le risque d'une récession économique plus globale, avec toutes les conséquences sociales que cela peut générer.
Au-delà des chiffres
Mais au-delà des questions comptables, le débat sur les frais de scolarité en est d'abord un sur l'accès aux études supérieures et sur la valorisation que l'on cherche à donner à l'éducation dans notre société. Même les prévisions les plus conservatrices (voir le rapport de septembre 2011 du Comité consultatif sur l'accessibilité financière aux études) reconnaissent que la hausse des frais risque d'entraîner un baisse de 2,5% des effectifs étudiants.
L'université doit être un lieu qui forme au sens critique, à la culture et à la connaissance. Le but premier de l'université n'est donc pas de permettre, comme on l'entend trop souvent, l'accès au marché du travail, mais bel et bien de faire évoluer les savoirs de manière fondamentalement désintéressée.
Si l'on est convaincu que l'éducation est une valeur centrale du projet collectif québécois, alors on doit agir en conséquence et permettre au plus grand nombre d'y avoir accès.